Qui donc aurait pu, deviner, alors que le Sénat entérinait les derniers chapitres de la loi Hadopi, que cet ensemble de directives d’apparence répressive cachait en fait le louable désir de promouvoir les technologies nouvelles et le développement des jeunes pousses situées sur l’axe Moscou- Cheng Zhen – Los-Angeles ?
Car il faut bien le reconnaître, le risque de délit de non-sécurisation éveille chaque jour de nouvelles vocations. Le développement probable de faux courriel Hadopi et de prétendus antivirus/firewall utilisant cette vague de « peur, insécurité et doute » avait déjà été évoqué dans nos colonnes . Depuis peu, l’on voit également se multiplier des offres anti-hadopi qui, elles, ne relèvent absolument pas de l’hypothèse ou de la futurologie. Il s’agit des contrats de service VPN.
Comme le fait très justement remarquer le blogueur Bluetouff dans son papier du 13 septembre dernier « La loi Création et Internet mentionne une contravention pour non sécurisation d’une connexion Internet, sans pour autant définir le périmètre précis ». Sans définition de périmètre, il est donc tout à fait légal et légitime de recourir aux moyens techniques les plus sophistiqués -y compris les tunnels chiffrés- pour garantir une totale intégrité et une inviolabilité des communications des internautes. Un argument qu’ont très bien compris les refourgueurs de proxy-vpn, et en particulier un certain « Anti-hadopi.com » -résurgence opportuniste d’un service de l’Américain GoDaddy- dont l’argumentaire publicitaire ne laisse planer aucun doute : « HADOPI, LCEN, ACTA, LOPPSI, Réseaux Sociaux … Tout est bon pour vous traquer ! ». Anxiogène le discours ? Pas plus que ce qu’on entend au 20H sur les antennes nationales. Il y a donc communauté de discours et communauté de but -la protection des moyens de communication- avec ceux de la Haute Autorité, car tous deux insistent sur l’obligation de protéger les liaisons internet avec tous les moyens possibles.
Que peut-on faire avec un tel service ? À peu près tout tant que les intérêts du prestataire ne sont pas impactés -autrement dit tant que sa bande passante ne souffre pas trop-. Le site américain « UltraVPN » précise « You cannot use UltraVPN to send spam. If you use UltraVPN to commit hacking, you are required to cover your traces ». Une manière très claire d’utiliser un savon moral pour se laver les mains de tout crime informatique et s’afficher en défenseur des libertés numériques. D’ailleurs, avec un VPN, qui donc peut déterminer de quel côté du tuyau se commet le crime ? Si l’on se réfère à la définition hadopi, le coupable est celui à qui est attribué l’adresse IP. Les Proxy-VPN offrant au téléchargeur l’adresse de la passerelle, le « crime » de piratage est expédié ad patres, ou plus exactement en dehors des juridictions hadopiennes, ce qui est un bien pour tout le monde. En effet, conscient des frais qu’entraîneraient une série de poursuites devant un tribunal international, la Haute Autorité n’a pas jugé utile de considérer les problèmes liés à l’extraterritorialité des coupables. Et c’est tant-mieux pour le contribuable.
Reste que Godaddy, l’entité chapeautant UltraVPN, et son antenne Française « Anti-hadopi.com » n’est pas très claire quant à la réelle impunité de ses serveurs. Sur l’une de ses pages l’on peut lire « notre site web Anti-Hadopi n’est pas physiquement hébergé en Europe… », propos contredit quelques pages plus loin avec la phrase suivante : « Nous avons plusieurs plateformes d’accès sécurisées en Europe et en Amérique du nord ». De toute manière, assurent en substance les prestataires, « nos logs ne contiennent aucune donnée personnelle et ne serviraient à rien en cas de perquisition ».
Quelque soit le fournisseur de service -c’est le cas également de FreeVPN-, les propos sont plus ou moins les mêmes. Seuls quelques esprits chagrins trouveraient à redire sur le coût d’un tel service, sur le taux relativement élevé de sites douteux hébergés par Godaddy, l’un des plus gros registrar sde la planète, ou sur l’éventuel danger de communiquer un numéro de carte de crédit à FreeVPN, une entreprise Russo-américaine inconnue il n’y a pas 8 mois. Mais il faut bien faire confiance aux startups, n’est-il pas ?
Ces détails mis à part, il faut compter débourser, selon la bande passante et la qualité de service souhaitée, entre 5 et 11 euros par mois, soit considérablement plus que tout ce que pourrait promettre un assujettissement des accès Internet « IPTV » à la TVA « produits de luxe » (33 %) ou à cette utopique plaisanterie qu’est la Licence Globale. Le parfum d’interdit qu’offrent les VPN et leur manière de contourner la loi s’avèrent bien plus lucratif qu’une contribution généralisée, et ne risque pas de disparaître dans les méandres d’une administration fiscale. C’est, en termes politique, ce que l’on appelle une « alliance objective », autrement dit l’association de deux groupes aux intérêts diamétralement opposés qui parviennent à s’associer le temps d’une opération profitable à tout le monde. Rsnake, sur le blog Ha.ckers, utilise une autre parabole : celle des chiens de prairie, ces petits rongeurs qui acceptent d’abriter dans leurs terriers d’autres animaux appartenant à une espèce parfois concurrente d’un point de vue territorial. Cette apparente compassion n’est dictée que par un intérêt commun, une alliance objective, celle de ne pas voir les prédateurs s’engraisser.
Ajoutons enfin qu’en poussant les internautes Français à recourir à de tels services; le législateur parvient à botter en touche et à ignorer superbement les éventuelles récriminations des professionnels de « l’industrie de la culture » dont les œuvres toute aussi industrielles, sinon produites à la chaine, continueront à couler paisiblement en mode streaming à l’abri du chiffrement des dits proxy-vpn. En provoquant le déplacement du problème au delà des frontières européennes, la Haute Autorité se décharge de toute responsabilité vis à vis des auteurs-compositeurs et de leurs organismes de tutelle. Ces derniers ont eu en leur temps leur utilité pour justifier la mise en place de dispositions législatives restrictives, il serait grand temps maintenant qu’ils apprennent à rester à leur place.
Seuls pourraient trouver à y redire les fournisseurs d’accès Français. Car ce plan machiavélique aura pour première conséquence une forte diminution des demandes d’identité correspondantes aux numéros IP que les factotums de la Haute Autorité sont sensés collecter. Ces demandes faisant l’objet de compensations financières, leurs disparitions peuvent être considérées comme un manque à gagner certain. En outre, l’offre de services VPN, c’est aussi un peu le métier de ces fournisseurs d’accès. Et voir ce genre de prestation partir entre les mains de concurrents étrangers, voilà qui ne saurait faire plaisir aux Orange, Free, Alice et consorts. La solution pourrait peut-être passer par la création d’une sorte de « licence globale » destinée aux opérateurs de services Internet dans le besoin… Une proposition à glisser à l’occasion du prochain projet de « paquet télécom ».