Ce « site de l’indignation citoyenne », qui veut dénoncer les abus de l’administration Marseillaise, est inspiré, explique son auteur, tant par le travail de Julian Assange que par le livre de l’ancien résistant Stéphane Hessel « Indignez-vous ! ». Las, Philip Sion, l’animateur et rédacteur du site, est également un fonctionnaire travaillant au Conseil Général des Bouches du Rhône. Et de ce fait, tenu à un « droit de réserve », dont le manquement a eu pour conséquence sa suspension du poste qu’il occupe. L’Administration accuse également le fonctionnaire d’avoir publié des documents confidentiels, lesquels documents prouveraient notamment, selon les écrits de Philip Sion, le non-respect des règles encadrant les marchés publics.
Cette fuite d’information tient moins d’une sorte de wikileakisation que d’une forme de contestation citoyenne assez semblable à celle du site « Mon Puteaux » tenu par Christophe Grébert. Mais alors que « Mon Puteaux » est un web de contestation tenu par un administré qui ne fait que diffuser des informations déjà publiques, Wikileaks13 étaye ses arguments par des éléments parfois « internes au service » ou à diffusion assez limitée. Ce qui n’est pas franchement du goût de la hiérarchie.
Cela ne fait pas de ce blog un Wikileaks local pour autant. La fuite de documents n’est pas massive, elle ne provient pas de sources anonymes, et le publiciste ne se prétend pas neutre vis-à-vis du contenu des documents diffusés, pas plus qu’il n’en confie le droit de commenter l’information à une tierce partie indépendante. Dans une entreprise privée, une telle initiative aurait aujourd’hui bien des chances de se conclure par un licenciement pour faute grave, comme l’avait prononcé en novembre dernier le conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt dans la très médiatique affaire du « club des nuisibles sur Facebook ». Rappelons que la faute invoquée était à l’époque « incitation à la rébellion contre la hiérarchie et dénigrement envers la société ». Cet argument peut-il être également invoqué par l’Administration Marseillaise ?
Pour Philip Sion, le combat se situe sur un tout autre plan, puisque selon lui, ce qui relève du Conseil Général relève de la « chose publique » et doit donc être rendu public.
D’un point de vue politique, le Conseil Général des Bouches du Rhône se trouve pourtant dans une situation délicate. Si son image de marque était peut-être légèrement ternie par cette contestation relativement discrète jusqu’à présent, elle vient de subir une atteinte bien plus importante suite à la médiatisation entraînée par la mise à pied de son fonctionnaire. L’histoire a pris de l’ampleur, faisant les grands titres de la presse audio-visuelle. Car sanctionner un imprécateur, que celui-ci ait raison ou tort, est perçu par le public comme une forme de victimisation, une volonté « d’étouffer l’affaire ». Une leçon qui, si l’on se réfère à nouveau à « l’affaire des nuisibles », a fait connaître le nom de l’entreprise Alten plus rapidement qu’une campagne nationale de publicité, mais peut-être pas nécessairement avec le même effet. La hiérarchie de Philip Sion saura-t-elle faire la différence entre « précédent » et « jurisprudence » ? C’est là une décision nécessitant une finesse toute politique, qui ne semble pas avoir été déployée jusqu’à présent.
A la requête « espionnage Renault voiture électrique », Google retournait, à l’heure où nous rédigions ces lignes, plus de 60 000 résultats. L’information tient en peu de mots : trois « cadres de haut niveau » (dont un membre du comité directeur) ont été mis à pied, soupçonnés d’espionnage industriel pour le compte d’entreprises concurrentes.
Une fois de plus, cette affaire confirme une règle immuable de l’Intelligence Economique : les plus gros forfaits sont commis aux niveaux les plus élevés de la hiérarchie, là où la capacité d’accès à des données sensibles, le niveau de « confiance » octroyé et les leviers de compromission (notamment par l’argent) sont les plus évidents. Ce qui, de manière cynique, pourrait se résumer de la manière suivante : les outils et mécanismes de prévention de fuite d’information devraient, à 90% de leur capacité, ne porter que sur les 10% du personnel considéré théoriquement comme étant le plus fiable. Alors que c’est tout l’inverse dans la majorité des entreprises. Faudra-t-il, pour résoudre ce genre de problème, une loi spécifique punissant gravement l’espionnage industriel, comme le suggèrent nos confrères du Parisien ? Il y a peu de chances que cela serve à grand-chose, si ce n’est à servir les visées électoralistes de quelques députés ou ministres. Car tout espion amateur agissant à un tel niveau connaît de toute manière les risques pénaux qu’il encoure. Et ces risques sont déjà lourds. Les gains espérés doivent nécessairement se montrer aussi conséquents que les risques, nettement plus élevés devrait-on ajouter, car au danger de se faire prendre s’ajoutent les freins psychologiques, ceux que les psychologues appellent le « sur-moi » et les gens de la rue la « morale ». Ces règles sont identiques dans le domaine de la sécurisation des données informatiques ou de toute information estampillée « propriété intellectuelle » et pouvant être récupérée sur un disque dur. Mais surveiller des « patrons » avec plus de rigorisme qu’un employé, voilà qui n’est pas toujours politiquement correct et socialement accepté.
Linda Bendali et Mathieu Lere, deux journalistes de l’émission Envoyé Spécial (France 2) sont parvenus, sans grand effort et à deux reprises, à faire passer une arme à feu sur un vol intérieur Français. Arme démontée et répartie dans les bagages de nos deux confrères, puis remontées à bord sans que ni le personnel de bord, ni les équipes de « filtrage » des deux aéroports aient remarqué quoi que ce soit.
Faut-il en conclure, comme semblent le suggérer les deux journalistes, que le personnel chargé de la fouille des passagers n’est pas formé ? Que les méthodes de sélection et d’embauche sont en contradiction avec la fonction à remplir ? Faut-il, pour être agent de sécurité, nécessairement disposer d’un diplôme d’artificier, être rompu à la manipulation des armes à feu, maîtriser les arcanes de l’électronique afin de différencier d’un premier coup d’œil un système de détonation d’un réveille-matin ?
Ou peut-on surtout se demander à quoi servent ces « fouilles de sécurité » d’une efficacité non prouvée, effectuées par des entreprises sous-traitantes, souvent réduites à des recettes appliquées sans la moindre réflexion, allant de l’obligation de se déchausser « à la tête du client » en passant par l’ouverture d’un ordinateur portable (sans prendre la précaution de constater s’il fonctionne ou non pour des raisons de rapidité) ou le kidnapping des dangereuses bouteilles d’eau. Ce paranoïa-business génère chaque année un chiffre d’affaires trop important pour qu’il ne se crée pas un consensus discret, face auquel l’opinion du passager n’a que peu d’importance.
Mais quels que soient les doutes ou les certitudes que l’on puisse émettre envers des mesures de « sécurité réactive », il semble évident que cette expérience journalistique qui ne prouve presque rien (sinon que les milices privées ne peuvent se substituer au véritable métier de policier) servira les défenseurs d’un renforcement des mesures de surveillance. Nombreux sont nos confrères de la presse quotidienne qui citent à ce sujet les propos du secrétaire général du syndicat policier Synergie-Officiers *(dito) « Cette affaire, si elle est vraie, démontre la perfectibilité du système et la nécessité de la présence de policiers lors de la formation des agents de sécurité, et pendant les fouilles (…) Mais on ne peut pas revenir en arrière, la police ne peut pas se substituer aux sociétés de sécurité privées pour les fouilles dans les aéroports ».
*ndlr note de la rédaction : Syndicat cher au cœur notamment de Maître Eolas, qui trouve souvent dans ses communiqués une source d’inspiration quasiment inépuisable.