La Fédération Internationale des Droits de l’Homme (dont la charte est directement inspirée de la déclaration Française de 1789), vient de porter plainte contre une entreprise précisément Française, Amesys, filiale du groupe Bull, pour « complicité d’actes de torture ».
Amesys est spécialisée dans la commercialisation de systèmes d’interception des communications. Depuis un certain temps déjà, nos confrères de Owni, les articles de Jean-Marc Manach, les papiers de Bluetouff et Kitetoa dans Reflet et même certains médias grand public tel le Figaro s’étaient émus de la livraison de tels appareils au régime du colonel Kadhafi.
Au rythme des articles, les positions de l’entreprise ont dû se plier au jeu difficile de la communication de crise et de la préservation de l’image de marque. Comment, s’interrogent les médias, de tels outils de flicage massif aient pu être vendus à un état connu pour ses positions antidémocratiques ? Plusieurs arguments ont été évoqués.
A commencer par le climat de détente entre Paris et Tripoli après l’affaire des « infirmières Bulgares » durant laquelle la Lybie avait joué le rôle de médiateur.
Ensuite, la vente de ce genre d’équipement est plus ou moins perçue comme l’est celle des armes : si nous ne le faisons pas, d’autres le feront à notre place, cela supprimera des emplois et aggravera le déficit de notre balance extérieure. Une logique libérale peu en accord avec une éthique non-interventionniste et respectueuse du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. En outre, contrairement à des livraisons d’armes, destinées généralement à des militaires combattant des militaires, les outils de surveillance des grands réseaux de communication ont pour cible directe et unique la population civile.
Un autre argument est venu compléter ce discours : ces outils ne servent qu’à chasser les terroristes. Réponse qui, comme le font remarquer les enquêteurs de Reflet, ne tient pas franchement debout. Les équipements vendus par Amesys seraient essentiellement étudiés pour surveiller des flots massifs d’information et non mettre sur écoute un quarteron de suspects en retraites*. Il s’agirait là d’une inadéquation de la réponse en regard des possibilités du matériel et des logiciels de pilotage fournis …
Se pose également la question de l’usage de ces mêmes équipements sur « les marchés privilégiés » de l’entreprise. Car en dehors des dictatures, dont le soutien actif demeure moralement discutable, il ne reste guère que d’autres démocraties « avec lesquelles le gouvernement Français a noué des partenariats stratégiques » (dixit le Figaro). Et là, l’installation de systèmes d’écoutes massives est encore plus questionnable, et ne peut s’expliquer par l’unique nécessité de mettre à disposition un armement technique hightech aux fonctionnaires chargés du respect de la loi.
Amesys est une entreprise commerciale dont la fonction première est de produire et vendre. Elle porte cependant la responsabilité morale du choix des produits qu’elle fabrique. Mais Amesys n’est pas seule à intervenir lorsque lesdits outils sont vendus dans le cadre de contrats d’Etat à Etat. Il y aurait donc derrière ces marchés une responsabilité politique évidente que la plainte de la FIDH pourrait faire apparaître.
*NDLR note de la correctrice : retraites au pluriel, car l’auteur invoque semble-t-il le « lieu où l’on se retire », et non la fin d’une carrière de poseur de bombes