Dans un formidable élan de curiosité scientifique, la municipalité de Paris décide, à l’instar de la ville de Tours, de se doter d’un observatoire des ondes. Une sorte de catalogue des émetteurs, soit « déclarés » par les exploitants (opérateurs notamment), soit recensés par d’autres moyens techniques répartis, un peu comme Airparif évalue les niveaux de pollution de la ville-capitale. Car, rapportent aussi bien nos confrères du Parisien que des Echos, pourraient être pris en comptent les fréquences proches de la voix (tel que le CPL 75 kHz des compteurs Linky) et les antennes relais ou les bornes d’accès Wifi. Le chantier est ambitieux.
Le projet relève à la fois de la performance technologique et de l’habileté politique. Car qui dit vouloir recenser « tout ce qui émet » risque d’être accusé de flicage visant chaque usager du réseau GSM, chaque porteur de cardiofréquencemètre sauce Applewatch ou Fitbit. En outre, en situant dans les limites basses les niveaux d’énergie des fameux Linky d’EDF, on ne comprendrait pas pour quelle raison un tel observatoire ne prendrait pas en compte des sources radiofréquences considérablement plus puissantes : téléphones mobiles, combinés portables, oreillettes Bluetooth, télécommandes de rideaux et volets, centrales domotiques, clefs de voitures, badges de portes de garage, liaisons montantes et descendantes des satellites de télécommunication et de télédiffusion ou réseaux furtifs à étalement de spectre noyés dans le « plancher de bruit »… sans oublier quelques millions de fours à microondes, de petits talky-walky familiaux, de dispositifs de télémessage et de télémétrie et autres « lampes à économie d’énergie » qui ne passeraient pas les premiers tests de certification CEM. L’objectivité et le sérieux d’un tel observatoire sont à ce prix, et l’on peut douter que les politiques à l’origine de cette initiative aient parfaitement compris qu’ils ouvraient-là une boîte de Pandore.
Pour que l’information diffusée par cet observatoire soit véritablement impartial, il faudrait également qu’il comptabilise des sources de rayonnement à très haute puissance : émetteurs TV, radio et… rayonnements solaire et cosmique, sources de la vie sur terre, après tout la plus mortelle des maladies. Et en cas de taux d’exposition jugé supérieur à la normale ? Ni soleil, ni coupe du monde de football, certains élus EELV pourraient bien y laisser leur maroquin.
L’objectivité et la rigueur scientifique exigeraient également que soient prises en compte les infrastructures radio appartenant à des services régaliens –Renseignements, Opérateurs d’Importance Vitale, police, forces armées pour n’en mentionner que quelques-uns. Peut-on sérieusement imaginer voir publiés les algorithmes caractérisant les formes d’ondes des armées, l’étendue des spectres utilisés par la DGSE, la géolocalisation des émetteurs et les puissances mises en œuvre de la Royale à l’Armée de terre, des sous-marins aux émetteurs travaillant à plusieurs centaines de TeraHertz des « services tita » ?.
Certes, la sécurité tant des couches de transport d’information que les normes de santé publique, exige des contrôles relevant non pas de commissions municipales, mais d’organismes nationaux spécialisés et compétents (et notamment l’ANFR dont c’est l’une des missions). C’est là le seul moyen d’éviter la création de comités «fourre-tout radioélectrique et électromagnétique ». Sans une telle prudence, ces observatoires ne risquent hélas que de provoquer deux effets pervers. Premièrement entretenir une psychose des ondes (confortée par la tautologie « on » les surveille, c’est qu’elles sont nocives), en second lieu écarter du débat des questions bien plus fondamentales en termes de libertés publiques et de fuites d’information. Il y a plus de potentialités d’atteinte à la vie privée dans une infrastructure Linky (car jamais un algorithme de chiffrement n’est résistant à l’échelle d’une génération) ou dans une cartographie des « téléviseurs intelligents » et autres téléphones mobiles qu’il ne peut se prouver des risques de santé publique liés à la couche de transport. Malheureusement la peur des ondes, qui relèverait plus d’une croyance, cache une réalité scientifiquement prouvée, celle du peu de protection dont est victime le contenu transporté par ces mêmes ondes ou transmis par les hordes de gadgets de l’Internet des Objets.