TAC 2016 : Internet, le décloisonnement du crime

Actualités - Conférence - Posté on 09 Mai 2016 at 7:27 par Solange Belkhayat-Fuchs
Alain Juillet, Gerard Collomb et Bernard Cazeneuve

Alain Juillet, Gerard Collomb et Bernard Cazeneuve

Avec Internet, la criminalité suit un véritable « business model », passe de l’artisanat à une structure de réseaux comparable à l’économie libérale. Un constat que dresse Cécile Augeaud, Chef du Service d’Information de Renseignement et d’Analyse Stratégique sur la Criminalité Organisée (Sirasco, Ministère de l’Intérieur). Les groupes spécialisés des cités, explique-t-elle, se décloisonnent radicalement, et ce que l’on pourrait appeler les « flux de business » ouverts sur l’extérieur s’organisent et se développent notamment avec l’aide des nouvelles technologies. Les groupes spécialisés dans le trafic des stupéfiants, par exemple, collaborent de plus en plus avec d’autres filières mafieuses spécialisées notamment dans le blanchiment d’argent. Sans ce genre d’alliance, pas de progression du volume d’affaire. Un développement du business qui entraîne à son tour une diversification. C’est ainsi que l’on a pu voir se développer une tendance à la pénétration de certains corps de métier pouvant avoir accès à des biens ou des identités : opérateurs de téléphonie, bagagistes… on a même vu les « banques » des triades Chinoises accorder des « prêts » ou à d’autres mafias ou faciliter le blanchiment de leurs revenus.

L’adaptation de la lutte contre cette délinquance ne peut dépendre des seuls efforts des services de police. Elle ne peut pas s’opérer sans le secours du secteur privé, explique Peter Fifka, de la Digital Crime Unit de Microsoft. Une participation active du secteur privé, celui-là même qui est à l’origine des nouvelles technologies de l’information et de la communication, c’est également le vœu exprimé lors de l’allocution de Bernard Cazeneuve, Ministre de l’Intérieur, qui va même jusqu’à estimer qu’ « il est fini le temps où l’Etat seul pouvait assurer sa sécurité ».

 

André Viau, FITS - Jean-Pierre Maulny, IRIS - Felix Arteaga

André Viau, FITS – Jean-Pierre Maulny, IRIS – Felix Arteaga

Il y a pourtant une certaine contradiction dans ces différentes demandes, objecte Jürgen Storbeck, premier directeur d’Europol. « D’un côté, nous appelons tous à une meilleure collaboration des polices sur un plan international, afin que les organisations criminelles ne puissent bénéficier des « niches législatives » qui les mettent à l’abri de poursuites transfrontières. De l’autre, nous demandons aux industriels des TIC de fournir tous les efforts possibles pour aider les polices du monde entier à ne pas perdre pied dans cette course à la cyber-technologie criminelle. C’est oublier le troisième panneau du triptyque, celui des lois locales portant sur la préservation des libertés individuelles. Ainsi, en Allemagne, il est absolument impensable qu’une entreprise des TIC puisse collaborer activement dans le cadre d’une enquête en cours. Qu’elle soit consultée à périodes régulières, oui. Qu’elle puisse donner son avis, des conseils techniques, voire contribuer aux efforts de développement de manière générale et dégagé de tout contexte lié à une instruction, oui encore. Mais les organisations de défense des libertés n’acceptent pas la moindre implication directe d’une entreprise dans les affaires régaliennes ».

L’attitude de l’Allemagne n’est pas, fait remarquer Jean Pierre Maulny (Iris France), partagée par tous les pays d’Europe. Chargé d’orchestrer une consultation sur le sujet auprès de plusieurs Thinktanks (au total 8 pays d’Europe), il constate que les préoccupations varient énormément en fonction des géographies. La Pologne, par exemple, voit dans le « cyber » un risque d’attaque orchestré par des Etats-Nation, particulièrement la Russie. Cette sorte de « complexe de la cyber-guerre Estonienne » semble logique pour un ex-satellite de l’URSS. Les pays du sud, Italie notamment, sont plus polarisés par les problèmes posés par les filières d’immigration. Et parler des libertés individuelles n’est pas franchement un souci de premier ordre en Grande Bretagne. Si le crime se décloisonne, l’Europe politique, quant à elle, reste fortement égotiste et fuit toute idée de véritable concertation idéologique.

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