Les vieux journalistes ont tous en mémoire une secrétaire de rédaction capable, d’un coup d’aérographe, de masquer une ombre, rattraper un cliché sans contraste ou effacer une bouteille d’alcool pouvant compromettre la réputation d’un interviewé. Science et art tout à la fois, la pratique de l’aérographe a longtemps également été le passe-temps favori des dictateurs et autres manipulateurs d’opinion. Les régimes Staliniens et Hitlériens, la période Maccartiste ont fait couler plus de peinture bistre sur les clichés officiels que des siècles de censure orchestrés par l’inquisition… autocensure parfois révélée par des palimpsestes qui font la joie des experts.
Aujourd’hui, l’expert ne gratte plus les vernis ni ne passe les images aux rayons X. Il analyse la luminance des clichés numériques, cherche des motifs répétitifs, fouille dans les échelles colorimétriques et s’acharne sur la détection de « détourage ». Car l’ère de la photographie numérique sonne l’avènement du règne des faussaires Photoshopesques. Neal Krawetz, de SecDev, a souvent écrit sur cette forme de hacking très discret qu’est la désinformation par modification des images numériques. Un Barack Obama « plus noir que vous ne pensez »* ou des missiles Iraniens qui se multiplient comme des petits pains aux noces de Téhéran. Ce dernier exemple, d’ailleurs, sert de catalyseur à Errol Morris, à qui le New York Times ouvre ses colonnes. Et Morris d’interviewer Hany Farid, un autre spécialiste de l’image politique photoshopée. Farid parle des techniques de détection, des contre-mesures utilisées par les faussaires, des manipulations psychologiques qui accompagnent nécessairement ce genre de trucage (ainsi les affirmations de Colin Powell à propos des photographies satellite montrant les prétendus stocks d’armes de destruction massive en Irak). Avec la numérisation de l’image, avec la disparition –fichiers RAW exceptés- de tout support crédible pouvant constituer une preuve recevable, avec l’amélioration constante des outils et techniques de modification, le hack d’une photographie peut avoir des conséquences biens plus graves qu’une « faille du siècle » affectant les DNS ou un « bug majeur » touchant un navigateur Web très répandu.
*Note de la Correctrice : Plus noir que vous ne pensez, Darker than you think, est un vieux roman de littérature fantastique écrit par Jack Williamson dans les années 40. Neil Krawetz ne s’abreuve pas seulement d’ouvrages sur les recettes traitant de l’art d’accommoder les injections SQL