Arme à double tranchant et à double poignée qu’Internet du côté des réseaux Iraniens. Depuis la publication des résultats des élections, le Net Persan bouillonne d’activité, tant du fait du gouvernement en place que de celui des partisans de Mir Hossein Moussavi. Contrairement aux précédents cyber-conflits, le théâtre Iranien oppose des personnes situées dans un même espace géographique, et non plus à des milliers de kilomètres les uns des autres. Une différence notable, un facteur de risque jusqu’à présent jamais estimé et qui rend tout pronostic totalement aléatoire.
La première « cyberaction » critique a été déclanchée, expliquent nos confrères de Libération, par les bassidji gardiens de la révolution, qui ont remplacé manu-militari les fonctionnaires chargés du comptage des voix. Procédé nettement moins discret mais bien plus efficace que de modifier quelques lignes de codes dans le firmware d’une machine à voter.
Très rapidement, les services « Web 2.0 » ont relayé les protestations émises par certains électeurs.
Vague qui eut pour première conséquence la coupure des accès Web vers les principaux serveurs tels que FaceBook, YouTube et Webs d’information internationaux rédigés en Persan. La fréquence radio de BBC Internationale aurait été brouillée et les réseaux de téléphonie mobile suspendus en grande partie. Un seul médium semble avoir échappé à ce filtrage pendant un instant : Twitter. Une exception –un oubli ?- qui sert l’Administration Obama, laquelle demande très « ouvertement » aux administrateurs de Twitter de suspendre leurs travaux de maintenance. Le « fil » le plus consulté ces jours-ci ? #iranelection bien sûr.
En situant le discours sur un plan purement technique, la Maison Blanche module subtilement le discours officiel, qui tente par tous les moyens de prouver qu’aucune ingérence n’est commise dans les affaires intérieures Iraniennes. Mesure prudente, actes réfléchis, car il y a de fortes chances que toute prise de position officielle dénonçant soit une éventuelle fraude, soit un soutien au parti de Moussavi n’ait pour seul résultat que de durcir la répression. La moindre opinion allant à l’encontre du régime d’Ahmadinejad pourrait alors être utilisée pour accuser les protestataires de « collusion avec des puissances extérieures ».
Ergo, lorsque les politiques ne peuvent pas parler ouvertement, il suffit de laisser s’exprimer le peuple. Il est bien pratique, le peuple, dans de pareils moments, pour donner des conseils de rébellion et pour soutenir moralement et à distance des bras tendus face à des fusils. Parallèlement à cette « bataille Twitter » qui s’oppose à la « cybercensure » de la République Islamique, des éléments incontrôlés hors frontières provoquent des séries d’échauffourées IP, des attaques en déni de service contre des sites Iraniens, si possibles gouvernementaux.
L’équipe de l’Avert dresse une liste des serveurs touchés (encore attaqués à l’heure où nous rédigeons ces lignes) et tente de modérer les esprits de ces« patriotes combattant spontanément pour défendre les opprimés ». Des DDosseurs qui, pour certains, auraient bien été en peine de situer l’Iran sur une mappemonde il y a à peine une semaine.
Dancho Danchev, qui a suivi de très près les différents terrains d’opération, depuis l’Estonie jusqu’aux dernières escarmouches Chinoises, dresse un bilan bien plus complet, plus fouillé aussi, que celui de l’Avert. C’est dans les colonnes de ZD-Net. Il y décrit le côté relativement désorganisé, manquant de moyens et de coordinations. Du bricolage qui parvient tout de même à museler quelques sites officiels.
Même Neal Krawetz, entre deux considérations culinaires, glisse quelques mots sur la situation au pays de Darius le Grand. C’est le temps des changements, espère-t-il. Mais quels changements ? Et paradoxalement, ce n’est pas un blog technique, mais un quotidien national, celui de la BBC, qui fait le point sur les différents canaux de « fuites » d’information sur Internet, les derniers espaces de liberté d’expression.
Tout ceci dégage une forte odeur de manipulation en provenance de tous les bords. Il est impossible de vérifier la véracité des témoignages en provenance d’Iran, et il n’est guère plus aisé d’interpréter les signaux émis sur la scène internationale. Rappelons que cette sorte de « guerre des communiqués » a été entamée par Barack Obama lors du fameux « discours du Caire » (voir notamment le Figaro ), lequel discours s’articulait sur un amalgame et une simplification très populiste consistant à opposer les principes laïques de la République Française et le droit au prosélytisme religieux affiché par le port du voile. Le coup a porté avec une redoutable efficacité, provoquant des réactions de la part des mouvements féministes et de défense des libertés individuelles, comme en témoigne nos confrères de Libération. Il s’en est suivi une mise au pas de la diplomatie Française, comme le reflète Le Parisien. Mise au pas de courte durée, puisque, témoigne RTL, le Président de la République Française relançait le débat en critiquant ouvertement Ahmadinejad et son élection très discutée. Pendant ce temps, la Maison Blanche fait le dos rond, précise que, Ahmadinejad ou Moussavi, c’est bonnet blanc et blanc bonnet, et tente de conserver toutes ses chances diplomatiques pour l’avenir. L’opération de diversion semble avoir relativement bien fonctionnée, puisque l’attention des pays Arabes en général et de l’Iran en particulier se tourne plus vers la France que les Etats-Unis. La Maison Blanche rappelle ainsi discrètement que Benjamin Franklin était à la fois le père fondateur de l’Amérique et l’inventeur du paratonnerre.
Cette guerre de communiqués fortement relayée par Internet se déroule dans un contexte encore totalement nouveau. Car, depuis la naissance de la WebPolitique sous l’impulsion de l’ex Vice-Président Al Gore, les cyber-affrontements se sont toujours déroulés entre deux états belligérants distincts et très souvent éloignés. Jamais –à quelques tentatives près lancées par des guérilleros d’Amérique du Sud- Internet n’a été utilisé dans le cadre d’un conflit intérieur. Il était trop tôt lors des soulèvements syndicaux de Pologne, trop tôt durant les événements de la place Tien-an-men. Qui gagnera ? Quelle sera l’importance d’Internet dans l’arsenal des futures guerres de propagande ?
On peut d’ores et déjà être certain qu’à l’instar des précédents conflits, il se dégagera un double discours, l’un diplomatique, relayé par les mass-médias, l’autre, plus instinctif et prompt à réagir, celui des masses utilisant leurs propres médias (blogs notamment, voir hacking divers). Toute la question est de savoir dans quelle mesure ces réactions ne sont pas sous le contrôle ou l’influence d’une puissance diplomatique ou d’une autre. Des puissances qui s’affronteraient à fleurets mouchetés, par hackers interposés et spécialistes de la propagande ou de la guerre psychologique. Il suffit de tellement peu de chose pour renverser une opinion publique. Surtout depuis une certaine Dépêche d’Ems.
L’ont peut également prévoir que ces « témoignages spontanés » populaires comporteront une part totalement invérifiable de manipulation et de désinformation ainsi les manifestations de soutien orchestrées par le parti majoritaire. Ce fut également le cas durant les cyber-conflits sino-américains, Russo-Estoniens, Russo-Géorgiens ou les débuts de la guerre d’Irak. Mais là s’arrête toute comparaison.
Car là commence l’inconnu. Les forces qui s’opposent sont principalement situées à l’intérieur des frontières physiques et IP de l’Iran. Les spectateurs extérieurs, privés d’informations vérifiables, en sont réduits à deviner, à considérer le pays un peu comme une marmite au couvercle fermé, dont on ne soupçonnerait l’intense activité interne que par les quelques soubresauts de vapeurs qui parviennent à s’échapper à périodes irrégulières. Le degré d’influence provoqué par les réactions internationale extérieures est d’ailleurs lui-même impossible à quantifier.
L’on pourrait également ajouter un dernier aspect, probablement même le plus important d’un point de vue humain. Un facteur qui déterminera d’ailleurs la durée et la dureté du conflit interne qui secoue l’Iran : la peur de se faire prendre. Dans le domaine de la sécurité informatique, on appelle çà de l’analyse de risque.
L’on a coutume de dire qu’une cyber-guerre ne provoque que des cyberblessures et fait des cybermorts totalement virtuels. Que l’on y perde de l’argent, c’est possible. La vie… c’est nettement moins probable. Aucun véritable cadavre. Les seuls qui souffrent réellement sont les ordinateurs et les équipements de commutation. Ce n’est pas le cas du théâtre Iranien. Chaque Twitter sur Internet, chaque témoin des événements ne communique qu’au péril de sa liberté et parfois de sa vie. C’est cette seule variable qui conditionnera le cours ce cette cyber-guerre civile. C’est cette seule variable que retiendront les gouvernements, démocraties comme dictatures, dans leurs propres évaluations des risques contestataires et de leurs conséquences.
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