Il est assez étonnant de constater comment les différents Ministères et Députés d’Europe cherchant officiellement à combattre le « sentiment d’insécurité » sont eux-mêmes vecteurs de cette propagande anxiogène. Outre-Manche, par exemple, Graham Clueley (Sophos) est surpris des chiffres communiqués par l’actuel gouvernement de Sa Gracieuse Majesté : le cybercrime serait, sur les falaises d’Albion, aussi grand que le sont les Bretons qui y résident et coûterait 27 milliards de livres sterling chaque année. 27 milliards de livres… 32 milliards d’Euros. Pour sûr, on a dû y ajouter les pertes hypothétiques de l’Industrie du disque et les coûts des droits voisins de l’industrie cinématographique londonienne, qui, depuis quelques années, connaît un formidable essor grâce à l’augmentation des caméras de vidéosurveillance (et non vidéo-protection, car la Bretagne Grande n’est pas soumise à la relecture sémantique imposée en France).
En se penchant quelque peu sur les chiffres de l’étude, l’on s’aperçoit que les plus touchés sont les organisations « sans but lucratif » (le paradoxe est savoureux), ainsi que les sociétés de service et de support. On imagine qu’il s’agit là de spam, scam, phishing, scarewares … viagra non compris, puisque la catégorie « pharmaceutical & biotech » n’est presque pas impactée. Autre grande victime du cybercrime, le secteur de la construction. Les « online thiefs » d’Outre Manche seraient-ils parvenus à développer un protocole capable de faire passer des sacs de ciment et des panneaux de BA13 sur une fibre optique ? Plus logiques sont les secteurs statistiquement les plus touchés par le cyberespionnage : aéronautique et défense, services financiers et mines. Il peut sembler surprenant que le secteur minier soit touché, mais l’on doit garder à l’esprit que la prospection des gisements fait l’objet, depuis toujours, d’une lutte acharnée opposant les pays et les industriels entre eux.
Cette fantaisie des chiffres et cette inflation anxiogène se portent également très bien en France, nous rappelle nos confrères de PC-Inpact, qui rapportaient, le 16 novembre dernier, une question du député Jacques Remiller, supporter de la Loppsi et de ses paragraphes concernant le filtrage des sites. Il s’indignait, alors, du manque d’efficacité apparent des mesures de blocage d’un « Internet, qui est un moyen de communication incroyable est aussi, malheureusement, le lieu de toutes les dérives dont une en particulier: la pédopornographie ». Et de rappeler qu’il existerait « plus de 1 million d’images et plus de 40 millions de sites à caractère pédopornographique». Glissons sur le fait que l’on recense plus de sites que de contenu (1 image pour 40 sites, on friserait le réseau à haut degré de résilience). Reste que ça fait peur, 40 millions de sites pédopornographiques. Surtout lorsque ce chiffre (d’origine incontrôlée bien que rapporté par le Garde des Sceaux) est sorti de tout contexte, de toute appréciation volumique, et notamment du nombre de sites de tous types recensés sur Internet… Si l’on se base sur de vieilles statistiques, 234 millions de sites web dans le monde fin 2009, ou 129 millions aujourd’hui selon Whois, cela ferait dans le meilleur des cas au moins un site pédopornographique sur 9… franchement, oui, ça fait peur. Mais peut-être doit-on y ajouter les 200 ou 300 millions de blogs ? Même dans ces conditions, ce taux serait tel qu’il serait impossible de lancer une recherche Google sur la culture des artichauts en Bretagne sans tomber sur une bonne dizaine de sites pédopornographiques. Utiliser l’insupportable pour justifier la propagation de l’angoisse et de l’indignation, est-ce vraiment là le meilleur moyen de lutter pour un Internet ouvert, responsable et sécurisé ?