Dans une ultime tentative pour maîtriser la situation, les autorités Britanniques viennent de commettre une double erreur : arrêter et interroger durant plus de 7 heures le compagnon de Glenn Greenwald, le journaliste qui a couvert l’affaire Snowden pour le compte du quotidien, puis effectué, sous les yeux des journalistes, une « saisie-destruction » du matériel informatique de la rédaction. L’article de l’Associated Press relatant ce véritable autodafé a été repris par la majorité des médias anglophones, dont le Washington Post.
Lorsqu’un gouvernement s’attaque à ses propres médias, il tourne le dos ouvertement aux fondements même de la démocratie.
Les réactions de Greenwald ne se sont pas faites attendre. Il aurait alors déclaré posséder quelques cartouches en réserve, et promet des révélations fracassantes sur les services d’écoute tant Nord-américains que Britanniques (propos rapportés dans la matinée du 20 août notamment par nos confrères de France Culture). S’engage alors une partie de bras de fer, dans laquelle le gouvernement Cameron tente de satisfaire son homologue US et la presse d’Outre-Manche combat pour sa sacro-sainte indépendance, Raison d’Etat ou pas.
Cette double opération policière (une intimidation personnelle indirecte et une destruction de preuve) montre à quel point Londres est désemparé. La destruction des disques durs du journal relève de la gesticulation la plus infantile et la plus inutile qui soit, les données sensibles étant probablement depuis longtemps réparties sur une multitude de serveurs. C’est là visiblement le signe d’une intense frustration et certainement d’une absence de maîtrise de soi, un véritable paradoxe au pays du self control … Quant à l’arrestation et à l’interrogatoire du compagnon de Glenn Greenwald sous des prétextes d’antiterrorisme (l’acte de terrorisme consistant en l’occurrence à signaler les actes d’espionnage d’une puissance étrangère), elle prouve, si besoin était, à quel point les services de renseignement de la Grande Bretagne sont totalement inféodés aux décisions de Washington. Les intérêts des îles Britanniques sont ici ceux du Grand Large, en totale contradiction avec ceux de l’Europe.
Une Europe qui, de son côté, gesticule tout autant. Plus d’une centaine de titres Français (dont Le Monde, le Point, L’Expansion…) reprennent l’information du jour : les Cnil Européennes, regroupées sous la bannière du G29, ont saisi la Commission Européenne et demandent des éclaircissements sur le programme Prism. Il leur aura fallu plus de 70 jours pour réagir. L’espoir que l’information retomberait rapidement dans l’oubli ? A se demander si les photocopieuses de Bruxelles sont tombées en panne, car il suffirait de reprendre les principaux chapitres du Rapport Echelon A5-02-64/2001 et des travaux de MM Duncan Campbell, Franck Leprevost et Chris Elliot commandités par le STOA (Science and Technology Options Assessment dépendant du Parlement Européen) pour en tirer des conclusions identiques et provoquer des réactions également identiques, c’est-à-dire inexistantes. Lorsque les choses vont mal, l’Eurocratie se plonge dans l’écriture de rapports et généralement sur un sujet très éloigné du fond du problème. Si études et propositions de solutions devaient être entamées, cela ne devrait-il pas être plutôt sur la responsabilité politique de la Grande Bretagne dans cette affaire d’espionnage, sur son zèle à étouffer l’affaire, sur sa participation active dans le concert UKUSA, ainsi que sur l’absence de volonté d’autonomie stratégique de l’Europe elle-même dans le domaine des TIC. Une autonomie (et non nécessairement une indépendance) qui ne peut se mettre en place que par le biais d’efforts financiers mis en commun, et non par le truchement de saupoudrages nationaux servant plus à une politique de subventions ne favorisant que quelques grands opérateurs et sociétés d’ingénierie …
Merci pour cet article. Deux notes, une remarque
« puis effectué » => Non, l’autodafé est antérieur à la détention de Miranda (mais a été révélé par le Guardian en réaction à cette détention).
« […] (l’acte de terrorisme consistant en l’occurrence à signaler les actes d’espionnage d’une puissance étrangère) […] » => Non, ici, ceux du GCHQ domestique suffisent… c’est officiellement la possession « éventuelle » de documents du GCHQ par M. Miranda, qui aurait permis d’invoquer les clauses de contre-terrorrisme, au motif que ces documents seraient dangereux « s’ils tombaient entre les mains de terroristes ». Il n’empêche que les US ont indiqué avoir été informés « très tôt » de la détention.
Ça sent un peu les vacances au CNIS 🙂
Quant à l’autonomie, elle pourrait passer par l’auto-hébergement (oui, encore); inciter les FAIs à fournir des offres stables, symétriques et respectueuses de la neutralité des réseaux, de même que des services localisés chez, ou au plus près de l’abonné; et plus généralement, la promotion des logiciels libres… quitte à pousser le chiffrement ?