Au début de la semaine passée, la députée UMP Valérie Boyer a lancé l’idée qu’il faudrait apposer la mention « Photographie retouchée afin de modifier l’apparence corporelle d’une personne » sur toute image publicitaire ou de presse magazine « shoppée », comme dit-on dans le milieu. A ce rythme-là, il se pourrait bien que l’usage des logiciels de retouche photo, The Gimp y compris, ne soient disponibles que sur ordonnance et après inscription dans un des nombreux fichiers tenus par le Ministère de l’Intérieur.
A la minute même où cette information a commencé à courir sur les ondes et les réseaux câblés, la rédaction de CNIS Mag s’est mise à surveiller avec une attention redoublée le blog de Neil Krawetz. Et çà n’a pas loupé, l’expert en imagerie numérique et en fraudes au pixel nous gratifie d’un billet intitulé « French Connection » au fil duquel les mangeurs de grenouilles en prennent un peu pour leur grade. Krawetz lutte depuis déjà quelques années contre cette forme de beauté éthérée et parfaite que peut fabriquer la photographie numérique et les logiciels de retouche d’image. Les ravages de l’anorexie par imitation ou par transfert méritent que la question soit largement débattue au sein des rédactions et des directions artistiques des magazines de mode ou agences publicitaires. Mais de là à en faire une loi, il y a un pas difficile à franchir. Car derrière cette disposition bourrée de bons sentiments et d’intentions louables se cachent autant de chausse-trappes que n’en compte une plage de débarquement.
Passons tout d’abord sur le travail artistique lui-même. Une photographie n’atteint le stade d’œuvre qu’après un important travail de retouches, de recadrage, de traitements divers… et ce depuis son invention par Nicéphore Niepce et Jacques Daguerre. Entre le cliché d’un Man Ray ou d’un Brasaï et le résultat tiré sur Ilford Gallery, il y a parfois des heures de travail. Cela va du choix de l’objectif de l’agrandisseur à la diminution ou l’éclaircissement des zones par des caches, en passant par d’éventuels tours de main (solarisation, contre-masques etc). Qui donc n’est jamais tombé en arrêt sur les planches « aviation » ou « automobile » d’une l’Encyclopédie Larousse de l’entre-deux guerres ? Magnifiques collections iconographiques truffées de pneumatiques brillants, de carrosseries reflétant un soleil toujours fixe (35° Nord-Ouest de la page) ou de machines lissées par la dextérité d’un aérographe ? La retouche n’est pas toujours synonyme de mensonge.
Est-ce ce même aérographe qui faisait à Mao Tse Toung, à Joseph Staline, à Adolphe Hitler, à Kim Jong Il un personnage au teint vif, toujours entouré des « bonnes personnes » au « bon moment » ? On ne compte plus les Nicolai Yezhov ou les Léon Trotski qui se sont évaporés d’un coup de compresseur, dans un premier temps, avant de finir fusillés ou assassinés à coups de pic à glace. Photoshop n’a rien inventé, sauf peut-être quelques grosses bévues provoquées par l’abus de masques.
Doit-on légiférer sur le travail des photographes sous prétexte d’objectivité de l’information ? Et sur quels critères établir une limite ? Faut-il apposer une mention « Photographie retouchée afin de modifier l’apparence corporelle d’une personne » lorsque disparaît un petit bourrelet présidentiel, que surgit une troisième jambe ou que s’efface une bague de Ministre ? Et peut-on comparer l’odieuse malhonnêteté d’une censure photographique perpétrée sous un régime totalitariste et des « détails de coquetterie » censurés par les scrupules flagorneurs d’un magazine cherchant à plaire avant que d’informer ?
A la proposition que soulève Madame la Député Valérie Boyer, il n’existe probablement aucune réponse définitive, si ce n’est celle qu’apporte l’éthique professionnelle. Le trucage et la manipulation font partie intégrante de la photographie. Sans retouche, Claudia Schiffer aurait des grains de beauté (quelle horreur !) et notre Président quelques kilos en trop (quelle importance ?). Mais les photos Harcourt de Gérard Philippe, la blancheur de peau de Kiki de Montparnasse et de Nusch Éluard seraient moins troublantes. Les missiles Iraniens feraient moins peur.
En obligeant les médias à apposer une mention « photo truquée » sur chaque cliché montrant un « petit 36 », Madame Boyer pourrait peut-être manquer sa cible et ceci pour deux raisons. La première, c’est que l’apposition d’une mention, tout comme celles concernant l’abus d’alcool ou la tabagie, a peu de chances d’avoir un impact réel sur l’esprit d’adolescentes en mal de sublime. La seconde, c’est qu’une telle mention risque d’être considérée comme ayant une portée générale. Si quelque chose d’aussi futile qu’un mannequin sur la couverture d’un magazine mérite un sceau de véracité, ergo tout ce qui ne porte pas ce sceau et qui revêt une importance plus grande peut être considéré comme étant parfaitement crédible. Or, qui peut, à moins d’une longue analyse d’expert, certifier que tel ou tel document de provenance étrangère est, où non, l’œuvre d’un retoucheur ?
La solution, c’est peut-être tout simplement Adobe qui la détient. Car quelle belle opération marketing que d’offrir à tous les collèges de France une version –limitée- de Photoshop pour que nos chers rejetons apprennent par la pratique à quel point il est aisé de travestir la vérité. Sait-on jamais, sur les quelques centaines de milliers d’écoliers évangélisés, il se pourrait bien que l’on y trouve des clients potentiels.