Rarement décision de justice n’aura entraîné autant de commentaires à chaud, tant dans la presse que sur les réseaux sociaux : le tribunal de Pau a condamné un usager professionnel de Paypal sous prétexte qu’en utilisant ce système de transaction, l’intéressé avait techniquement ouvert un compte au Luxembourg, base centrale de Paypal Europe. Or, le fait de ne pas déclarer l’existence d’un compte en banque situé à l’étranger est considéré comme une dissimulation et passible d’une amende de 1500 euros, quand bien même ce compte ne contiendrait pas le moindre centime. Fermez le ban.
Pour bon nombre de fiscalistes, cette décision est inepte, puisque le jugement ne fait pas la différence entre (ou du moins confond) un compte technique et un compte fiduciaire. Inepte également car allant à contre-courant des habitudes de la Justice dans des affaires analogues. La fameuse « liste des 3000 » provenant de la HSBC Genevoise ne compte que 3000 noms qu’après expurgation des comptes vides ou négatifs… hors, comme chacun le sait, un compte vide ou négatif ne constitue un compte de transit et de blanchiment d’argent que dans les mauvais romans policiers ou les films de seconde zone. Jamais, en aucun cas, dans la vraie vie, surtout si ceux-ci appartiennent à des notables ou des personnages politiques en vue. Mais après tout, Vae Victis…. Un antiquaire de province n’est pas un Ministre.
Débordées par les avalanches d’appels téléphoniques, les perceptions de France et de Navarre assuraient leurs chers contribuables qu’un compte « vide » et ne servant qu’à acheter (et non à encaisser la moindre somme) n’était pas soumis à cette obligation de déclaration. Une interprétation qui elle-même semble en contradiction partielle avec le jugement de Pau et avec l’éclairage qu’en donnent plusieurs experts, les un s’exprimant par voie de presse radio-TV, les autres sur les réseaux sociaux ou via la presse en ligne. « En cas de doute, tirez dix centimètres de formulaire Cerfa 11916*06 (http://www.impots.gouv.fr/portal/dgi/public/popup;jsessionid=DBBEEJC1YWD31QFIEIPSFFA?temNvlPopUp=true&action=openImprime&docOid=ficheformulaire_3791&typePage=ifi01&hlquery=null) propres et sec » insistent les plus prudents
Mais le principal danger que cette décision risque fort d’entraîner est ce que l’on pourrait appeler une « réaction Hadopi ». Face à un risque de poursuites légales, les habitués d’eBay ou du Bon Coin pourraient changer de mécanisme de payement comme d’autres abandonnent le Peer to peer pour se lancer dans le Direct Download. Et les alternatives ne manquent pas. Ce serait une aubaine pour les organismes financiers ne garantissant pas, contrairement à Paypal, la transaction de bout en bout (Moneygram, Western Union, Cash Deposit de Wells Fargo, REloadit), et dont on sait l’intérêt que leurs portent escrocs, scammers et autres artistes de l’entourloupe Nigériane.
Pis encore, les internautes pourraient recourir aux services de certaines banques en ligne Russes réputées pour leur totale absence de transparence et de scrupules, celles-là même qui alimentent les caisses noires des mafias de l’Est et sont si prisées des Bot Herders et professionnels du skimming. Un juge d’instruction un tant soit peu au fait des réactions du public et du marché bancaire en ligne ne peut ignorer l’existence de ces réseaux, et a certainement rendu son jugement en parfaite connaissance de cause et en pleine conscience de ses conséquences. On ne peut soupçonner un grand magistrat d’avoir pris une décision irréfléchie.
Dans le milieu du hack matériel « noble » et du DIY, de la vente de particulier à particulier, de la vie associative ou dans le monde des collectionneurs amateurs, on ne vit que par une foultitude d’échanges, d’achats mutuels, de groupements de revente, et donc de comptes paypal servant à des collectes souvent destinées à « payer les timbres » ou alimenter des caisses d’association. Dans ces cercles-là , le mot d’ordre a immédiatement été donné : règlements en liquide à partir de ce jour. La décision de Pau a eu, à un petit niveau, pour première conséquence d’enterrer un peu plus, d’occulter plus encore, une mini-économie parallèle touchant des millions de personnes, et ainsi inciter les contribuables à des pratiques noyant les fraudes (les véritables) par foisonnement dans un océan de petites transactions.
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