Lorsque Charlie Miller écrit dans un Twitt « Cette mise à jour ne va probablement pas vous sembler importante, mais croyez-moi, si vous en avez la possibilité, vous devriez vraiment déployer celle-ci ». Le message de Miller renvoie sur une alerte de sécurité qui ne porte ni la signature Adobe, ni l’estampille « Internet Explorer », mais le logo Fiat-Chrisler Automobiles.
Le même jour, Andy Greenberg, de Wired, publie un très long article sur sa journée durant laquelle lui et sa Jeep Cherokee se sont fait hacker par Charlie Miller et Chris Valasek.
Miller et Valasek n’en sont pas à leur coup d’essai. Déjà, par le passé, les deux chercheurs avaient démontré qu’il était possible de prendre le contrôle de la direction et du système de freinage sur des modèles Ford et Toyota. Mais à l’époque, le hack avait été minimisé par les constructeurs, arguant du fait qu’il était nécessaire d’avoir eu accès à la prise de diagnostic (située à l’intérieur du véhicule) pour conduire à bien cette compromission. L’équivalent, en quelques sortes, de « l’accès console » dans une attaque informatique classique.
Cette fois, la compromission est bien plus spectaculaire, puisque la prise de contrôle est effectuée à distance. Par Wifi, dans un premier temps, ce qui limite tout de même un peu l’importance du hack. Mais Miller découvre que l’attaque peut être conduite via la liaison cellulaire qui alimente en données le système d’aide à la conduite de l’automobile. « Uconnect’s cellular connection also lets anyone who knows the car’s IP address gain access from anywhere in the country » affirme Miller. Uconnect est un système commun à une multitude de modèles chez Chrysler.
Une courte séquence vidéo montre Greenberg aux prises avec sa Jeep récalcitrante. Absence de freinage, tableau de bord fournissant des indications de vitesse fantaisiste, coups de volant imprévisibles, accélérations brutales et coups de kaxon intempestifs… il faut avoir le cœur bien accroché pour prendre un passager comme Chris Valasek.
Il faut également faire preuve d’un certain détachement lorsque l’on confie le fruit de ses recherches à un journaliste. Car Greenberg veut trop en faire. Il accentue l’aspect mélodramatique de la situation. La « route 40 » sur laquelle sont effectués les tests se transforme en « Interstate 40 »… une autoroute, avec une circulation dense, des véhicules circulant à grande vitesse, des poids-lourds « 18 roues » se ruant, aveugles, sur le véhicule compromis… Oui, il faut savoir appâter le lecteur, lui faire vivre le scénario-catastrophe auquel il pourrait être confronté si le secteur automobile continue sur cette voie de l’informatique embarquée bâclée. Mais à trop vouloir crier au loup, Greenberg provoque un effet inverse. La preuve sur le blog de Richard Bejtlich qui titre « Aller trop loin pour avancer une preuve ». Le Maître du Tao de la sécurité reprend précisément les passages les plus anxiogènes (et peut-être les plus douteux) de l’article publié dans Wired. Où se situe la frontière entre le sensationnel et le sensationnalisme ? demande Bejtlich. Epineuse question.
Miller et Valasek, (et, comme le rappelle Bejtlich, Chris Roberts qui a prétendu avoir accédé aux commandes d’un avion de ligne en hackant son réseau vidéo) s’attaquent à des lobbys d’une incroyable puissance, et qui ont, par le passé, montré que le culte du chiffre d’affaires pouvait passer avant celui de la sécurité du conducteur ou du passager. Par exemple, le combat acharné (et la diabolisation par l’industrie automobile toute entière) de Ralf Nader dans les années 60. Mais grâce à lui, les « rappels de véhicules » pour des motifs de sécurité sont devenus plus fréquents. Les Renault, Toyota, Ford ont compris que, malgré le coût qu’engendrent de tels rappels, ils jouent en faveur d’un renforcement de l’image de marque. La chose est devenue courante lorsqu’une pièce mécanique est réputée défectueuse ou peu fiable. Mais la pilule est plus difficile à passer lorsque le problème touche un domaine qui sort totalement de la compétence des équipementiers du secteur automobile. Et c’est le cas précisément des ordinateurs de bord, des capteurs, des systèmes de navigation, qui amoncellent d’importantes erreurs d’intégration. Greenberg le résume en une formule lapidaire forte (et juste) : « les constructeurs automobile tentent de transformer leurs véhicules en smartphones ». Et par là même font entrer tout ce qui a un moteur dans le monde merveilleux des objets de l’Internet, ce paradis de l’exploit distant, cette thébaïde du bug à tous les étages. La « smartbagnole » et la gadgétisation des fonctions de pilotage (réseaux de tracking antivol, ordinateurs de bord multifonctions, assistances mécaniques diverses) ne peuvent que multiplier les trous de sécurité, les failles… et par conséquent les exploits. « En donnant accès aux fonctions vitales d’une voiture via une simple connexion IP, les constructeurs prennent le risque qu’un individu mal intentionné lance une attaque massive contre des centaines de milliers de véhicules à la fois » explique Miller en substance. Et ce n’est pas une extrapolation fantasmatique, mais bel et bien une réalité technique.
Les travaux de Charly Miller, Chris Valasek, mais également d’Adam Laurie, Karsten Nohl, Dan Kaufman (du Darpa), Mathew Solnik, Eric Evenchick, Stefan Savage et d’autres encore sont là pour nous prouver que tout ça n’est pas seulement un « coup médiatique » précédant une présentation à la prochaine DefCon. D’ailleurs, durant cette prochaine conférence sécurité, tout ce qui a quatre roues (y compris d’ailleurs les skateboards ) sera sous les feux de la rampe ». « Drive It Like You Hacked It: New Attacks and Tools to Wirelessly Steal Cars » par Samy Kamkar, « Remote Exploitation of an Unaltered Passenger Vehicle », la presentation de Miller et Valasek, « How to Hack a Tesla Model S » de Marc Rogers et Kevin Mahaffey, « Low-cost GPS simulator, GPS spoofing by SDR » , un “talk” radio sur un accessoire de navigation devenu indispensable, par Lin Huang et Qing Yang, et « Unbootable: Exploiting the PayLock SmartBoot Vehicle Immobilizer », exposé donné par fluxist et directement inspiré par un fait-divers ayant provoqué l’immobilisation de plus d’une centaine d’autos aux USA.
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