Par un discret message sur Twitter, Eric Walter, a annoncé qu’il n’était plus, depuis le premier août, à la tête de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi).
Walter était très critiqué par les tenants d’une industrie du divertissement qui, malgré des bénéfices records, ne parvient toujours pas à s’adapter au marché du numérique et pousse les instances gouvernementales à adopter une ligne répressive. On pourrait d’ailleurs se poser la question quand au rôle d’Hadopi dans le manque d’évolution comme de remise en question du business model de l’industrie du divertissement. L’institution semble considérée, dans le milieu du cinéma, comme une sorte d’assurance anti-piratage qui serait capable de préserver la France et son « exception ». Or le patron de cette Hadopi créée « parce qu’il fallait bien faire quelque chose », a toujours refusé cette ligne dure, celle de « l’éducation par la terreur ».
Du côté des internautes, Eric Walter représentait pourtant cette forme de répression policière aveugle qui tentait de préserver un modèle économique devenu caduque et totalement chamboulé depuis l’apparition d’Internet.
Situation intenable donc, dont la responsabilité incombe en grande partie aux opérateurs télécom, Orange en tête, qui, des années durant, ont insisté sur « la rapidité de téléchargement » de leurs offres respectives. Cette incitation indirecte à la contrefaçon est un problème de fond qui n’a quasiment jamais été évoqué par la commission Hadopi et sur lequel, pas une fois, les professionnels du cinéma et de la chanson de variétés n’ont fait mention. Pourtant, peut-on lutter contre le trafic de drogue ou la prostitution en ne cherchant à condamner que les consommateurs tout en s’efforçant de préserver les producteurs ?
Autre défaut congénital ayant entravé le travail d’Eric Walter, cette dérive sémantique dont s’est rendue coupable l’Hadopi : l’usage des mots « culture » et « industries culturelles » pour ne désigner qu’une activité commerciale, un secteur privé spécialisé dans les produits de divertissement. La création d’une institution gouvernementale chargée de veiller spécifiquement aux intérêts d’un secteur industriel en particulier n’a jamais fait partie des habitudes de la Vème République.
Ceci ne doit pas également faire oublier l’aspect financier de la chose. Dotée d’un budget totalement disproportionné par rapport aux résultats attendus (budget d’ailleurs constamment revu à la baisse au fil des lois de finance successives) le coût réel de l’Hadopi soulevait, et soulève encore, beaucoup de critiques.
Enfin, rarement institution nationale n’a fait preuve d’autant d’inefficacité technique, d’incompétence affirment certain. En 2011, TMG, le sous-traitant chargé de tracer l’activité des prétendus « pirates », se fait pincer pour manquement aux règles élémentaires en matière de préservation de la vie privée. Manquements qui ne déclenchent aucune sanction de la part de la Cnil. Sanctions, en revanche, qui menacent sans distinction les personnes s’étant rendues coupables d’un téléchargement occasionnel comme les stakhanovistes du download. Le principe de la proportionnalité des peines en fonction de la gravité des fautes, totalement absent des mesures de rétorsion imaginées par l’Hadopi, fait débat auprès des internautes.
A cela doit s’ajouter une totale incapacité de la Haute Autorité à réagir dans le cadre de sa mission, puisque le gros de son travail se limite à faire surveiller les réseaux peer to peer, alors que très rapidement, les « téléchargeurs compulsifs » les plus avides ont opté soit pour le téléchargement direct, soit pour les contenus hébergés sur des sites de streaming. Un streaming qui demeure, par ailleurs, l’argument majeur des vendeurs de 4G…
Devant cet Himalaya d’incohérences et de contradictions, le travail d’Eric Walter relevait de l’impossible. Il a, en permanence, tenté de suivre une voie médiane, qui n’a plu ni aux uns, ni aux autres. Mais pouvait-il agir autrement ?
Son successeur (si successeur il y a) devra nécessairement se charger d’une profonde réforme de l’institution. Peut-être sera-ce également l’occasion de reparler de la licence globale et d’autres modèles de rémunération des artistes, de remise à plat dans l’imbroglio des sociétés de gestion des ayant-droit, d’encadrement des stratégies affichées des opérateurs télécoms, de l’unification des différentes « taxe antipiratage » qui frappent les supports et certains terminaux numériques et qui partent du principe que, « par défaut », un usager est systématiquement coupable de contrefaçon… le récent rapport de l’Eurodéputé Julia Reda foisonne d’idées dont le prochain patron d’Hadopi pourrait s’inspirer.