Cornegidouille, Mère Ubu, que dites-vous de cela ? Moi, Père Ubu, Roi de Pologne et de la Sacem, c’est-à -dire de rien et de nulle part, je suis parvenu à saisir 150 Euros à un quidam… 150 florins qui viendront bien nourrir mon cheval à Phynance.
Mère Ubu
Tu perds la tête, Père Ubu. Tu te crois donc encore en Pologne ? En France, le vol est interdit, et comme nous n’avons plus nos anciens titres et fonctions…
Père Ubu
Madame ma femelle, tu manques de jugement. En quittant la Pologne, j’ai fait tirer par mes palotins, outre mon croc à phynance, mon illustre machine à décerveler. Et je l’ai offerte au bon peuple de France, en lui faisant accroire que c’était de l’art, alors que ce n’était que du cochon. Chaque usage de ma machine à décerveler (nommée dans le Berry et la Champagne, et la Beauce et la Bretagne, « téléchargement ») provoque immédiatement une réaction de mon cheval à Phynance.
Mère Ubu
Hon, je serais étonnée que cela fonctionne. Encore faudrait-il poser un palotin derrière chaque Français pour savoir qui abuse de cette machine à décerveler !
Père Ubu
C’est inutile, j’accuse sans preuve autre qu’un ouï-dire émis par un sous-palotin que je paye fort cher sur la cassette personnelle des Français eux-mêmes, qui payent avec gaieté car je leur explique que c’est pour le bien de mes généraux nécessiteux. J’arrive ainsi à leur soutirer 12 millions de Drachmes par an. Soit, depuis 3 ans, un peu moins de 30 millions de Rixdales.
Herdampot (qui entre côté Jardin)
Père Ubu, Ils finiront par s’en rendre compte ! Vous allez finir comme en Pologne ! Ecoutez la foule en colère, qui finira par vous enfoncer des petits bouts de bois dans les oneilles et vous coupera les cheveux. Et mère Ubu sera obligée à nouveau de quitter le pays, en y laissant votre croc à phynance.
Père Ubu
De par ma chandelle verte, ce serait surprenant ! Nous faisons œuvre pédagogique de sensibilisation. Je leur apprends le droit chemin, la logique de la physique, de la métaphysique, de la pataphysique et autres physiques bien plus abstruses, à commencer par celle qui consiste à appeler Création Artistique tout ce qui se peut écrire sur un disque polycarbonate, un Winchester, une tablette, une machine à Grand ou Petit Comput dès lors qu’il est portable… ou assimilé, et même les routes et autoroutes du savoir, car déjà mes fidèles généraux touchent une dime extraordinaire sur leur commerce et leur usage. Ce qui les rend gras et gros et dociles, eux qui mordraient s’ils n’étaient pas nourris par ces prébendes. J’éduque donc. J’instruis. Je pédagogise.
Herdampot (à mère Ubu)
Ma foi, il nous aura surtout appris qu’il est possible de voler en France comme en Pologne, de mettre l’argent de l’Etat au service d’un quarteron de commerçants, de rouler carrosse et habiter château sans que qui que ce soit ne trouve à redire, et, lorsque de vagues soupçons planent sur Père Ubu, il fait nommer l’un de ses propres anciens Palotin à la retraite à la tête d’une commission d’enquête. Il aura également écarté de leur fonction le rôle des juges et de la Police Républicaine pour imposer le pouvoir de ses Palotins, et parvenu à convaincre l’Etat que la proportionnalité des peines était une habitude passéiste. On condamne pour deux grains de blé, et l’on se garde bien de pourchasser ceux qui volent par sacs entiers.
Père Ubu
Merdre, vas-tu te taire ? N’as-tu point appris comment j’ai éliminé le roi Vancelas et gagné le trône de Pologne en donnant des caisses d’or à ceux qui savaient bien courir ? Je fais pareil ici. Je promets l’ordre et la phynance (sans rien tenir bien entendu) et entretiens en attendant la santé de ma Gidouille. Mais cela faisait longtemps que le Roi de France me demandait de hauts faits d’arme. J’ai donc levé l’impôt sur un manant pris au hasard. D’ailleurs, le prévenu n’était pas personnellement coupable, mais cela est-il important ? Comme je le promettais lorsque j’étais roi*, je vais d’abord réformer la justice, après quoi je procéderais aux phynances. Les juges ne seront plus payés, ils bénéficieront uniquement des dimes qu’ils imposeront… et des biens des condamnés à mort. Comme ça, le rebondi de leur boyasse sera d’autant plus important qu’ils seront sourds aux vieux principes. Mais j’interdis, sous peine de décervelage et d’arrachage des oneilles, de lever impôt sur les admirateurs les plus fervents de l’Art tel que défini par Moi-même et forts téléchargeurs, sans qui ne ne saurait continuer à justifier mon gouvernement vis-à -vis de la populace. Et lorsque qu’à force d’actions palotines mes généraux auront la boudouille rebondie à force de dime sur les goualantes, j’entendrais mes maréchaux, qui, eux, veulent que je réédite mon exploit non plus sur tout ce qui entre par les oneilles, mais sur tout ce qui entre par les yeux et qui s’est écrit.
Ils sortent en chantant
« Ne me chicane
Ce seul Cadeau
Jamais tatane
Dans le Dodo »
Un Palotin vient éteindre les bougies de la scène, côté cour, verse une pièce de 2 Rixdales pour les droits du chant Tatane.
* NdlC Note de la Correctrice : Acte III Scène 2.