Les choses vont de mal en pis pour les taxonomistes*. Car il devient de plus en plus difficile de classifier tout ce que l’on avait l’habitude de ranger dans la case « perte d’informations ». Autrefois, les choses étaient carrées. Soit l’information était perdue par inadvertance (exemple ; l’Union des Banques Suisses demande à quiconque les retrouvera de lui rapporter les 5 disques durs contenant les coordonnées de ses plus gros clients asiatiques) ou par pure désir criminel (exemple : En raison de la récente perte de plus de 94 millions d’identités bancaires, les magasins TJ Maxx sont au regret d’annoncer l’impossibilité de reconduire pour les 150 prochaines années la carte de fidélité de Monsieur Albert Gonzalez).
Deux catégories bien distinctes, une fois de plus les gentils distraits d’un côté, de l’autre les franchement méchants, au milieu, les vendeurs de DLP. La preuve chiffrée sur le site Dataloss db.org.
Plus récemment (mais est-ce vraiment le cas ?) il a fallu ajouter les hacktivistes, les Anonymous, LulzSec et assimilés, bref, ces groupes plus ou moins constitués et identifiables. Un dictateur Africain un jour, un Ministre Espagnol le lendemain, une banque la semaine suivante, peu de temps avant un éditeur de musique et de jeux… Même pourchassés par les polices de France et de Navarre, ces hacktivistes là ont encore le courage de crier « même pas mal » (version moderne de « Ce n’est qu’un début, continuons le com-bat ! »), revendication commentée par Jaikumar Vijayan dans les colonnes de ComputerWorld. Après l’arrestation de plusieurs « chefs présumés » par les polices Etats-Uniennes, Britanniques, Helvétiques-Tessinoises et Italiennes, les hacktivistes encore en liberté clament leur détermination sur Pastebin et affirment leur volonté de continuer à pourfendre la grande conspiration internationale des trusts financiers, des lobbys policiers et des gouvernements complices.
A côté de tout ça, il faut ajouter les activistes sans H et sans CK. Pas les susmentionnés, les vrais, ceux qui sont issus d’une éducation militante politique et ne changent pas de cible comme de chemise. Encore une information d’un confrère d’IDG News Services, Nicolas Zeitler, qui relate le hack par des citoyens Allemands des ordinateurs des services de police Germanique, dans le but de rendre public des informations récoltées par Patras. Patras, le programme d’espionnage utilisé précisément tout ce qui s’apparente à un service de sécurité ou du fisc Outre Rhin. Cette chasse au cheval de Troie policier aurait été rendue possible grâce… à l’injection d’autres chevaux de Troie dans les ordinateurs de l’administration Fédérale. Troyens contre troyens, une aventure digne de Lanfeust. Des arrestations s’en sont suivies, qui ont à leur tour provoqué la publication d’un communiqué signé par les membres du n0n4m3 cr3w, et affirmant qu’aucun des leurs ne faisait apparemment partie des personnes prises par ce coup de filet. Puis d’ajouter, par mesure de prudence probablement, que les documents récupérés sur les serveurs de la police seraient rendus publics si les persécutions continuaient. Point de grandes idées fumeuses, nulle théorie conspirationniste, l’on est là en face d’un affrontement politique classique : coups de main, agitprop, menaces, tentatives de musellement par la force… ce jeu est presque aussi vieux que le monde.
Vient enfin une nouvelle catégorie : les voleurs de données par effraction cherchant à rendre public des informations déjà publiques (si). Le corps du délit, un fichier de 32 Go de communications savantes, dont quasiment toutes ont plus d’un siècle d’ancienneté. 18 592 documents exactement, extraits de la revue Philosophical Transaction. Des extraits qui étaient toujours revendus au prix du neuf par la Royal Society, société de Sciences Savantes Londonienne. Et encore, sous condition, car chaque achat de document ne donnait droit de lecture que sur un seul ordinateur et pour une durée d’un mois seulement, expliquent nos confrères du Reg. Cette âpreté au gain, cette avarice et ce refus du partage offusque Gregory Maxwell, qui décide ipso facto de diffuser sur les réseaux Torrent ces ouvrages indispensables aux chercheurs et aux curieux. Et le Reg de rappeler que, pas plus tard que la semaine passée, un autre « terroriste intellectuel », Aaron Swartz, chercheur à l’Université de Harvard (Massachusetts) avait téléchargé 4,8 millions articles d’une revue Universitaire. Les entraves et limitations de téléchargement imposées par les administrateurs des serveurs avaient poussé Swartz à fracturer une armoire de brassage pour contourner les moyens d’accès conventionnels. Ce fut là son seul crime, il risque la prison.
Tout çà pour la dernière saison de Heroes ou de Dr House ? Pas même. Tout çà pour quelque monographie doctorale sur la paléontologie des vertébrés ou les annales de littérature espagnole du début du siècle (dernier). Dangereux hacking que le hacking qui conduit à la connaissance. Car, contrairement aux fichiers Wikileaks, il ne s’agit là pas seulement d’information mais de culture et de savoir. On comprend le légitime courroux tant du MIT que de la Royal Society. Partie comme est partie (accusation d’intrusion, fraude et vol de données) l’affaire : cela ira engraisser quelques avocats, ridiculiser une fois de plus un ou deux juges de Boston.
*NdlC Note de la Correctrice : Taxonomiste, spécialiste des taxinomies. Taxinomie : sorte de trouble obsessionnel compulsif frappant à période régulière les journalistes ou les experts en cyber-délinquance, et qui consiste à répertorier, classer et catégoriser des comportements, des êtres, des objets, des évènements dans le fol espoir d’y voir plus clair un jour. Ce comportement psychotique connaît des phases culminantes soit en tout début d’année (taxinomie de bilan) soit lorsque les journalistes n’ont rien à raconter d’intéressant.
« Troyens contre troyens, une aventure digne de Lanfeust » J’adore 😉