Thomas Pontiroli, de Clubic, a déniché, au détour d’un article de la loi sur la Transition Energétique un article 22 rendant illégal l’obsolescence programmée. Et de citer l’exemple d’Apple, contraint par une « class action » d’ouvrir un service de maintenance destiné à changer les accumulateurs intégrés de ses baladeurs numériques. Réparer plutôt que de changer, la différence est sensible pour le porte-monnaie de l’usager.
Mais hormis quelques exceptions qui relèvent manifestement de l’abus de position dominante, l’obsolescence programmée non seulement est consubstantielle à la loi du marché et quasiment impossible à prouver. Si une telle loi devait, un jour, être mise en application, il serait difficile d’établir la culpabilité du vendeur, à moins de transformer les prétoires en laboratoire de test mille fois plus tatillon et technique que celui de 50 Millions de Consommateurs.
L’on peut prendre à titre d’exemple le composant le plus commun qui soit dans l’alimentation d’un appareil. Un condensateur chimique 100 uF/10V vendu par n’importe quel grossiste professionnel en Europe est caractérisé par un MTBF (temps moyen de bon fonctionnement) qui excède rarement 1000 heures, soit, en continu, 500 jours, moins de 2 ans. Longévité qui peut être facilement divisée par deux si ledit composant est situé à côté d’une surface chauffante… à tout hasard le dissipateur de chaleur d’un régulateur de tension. Cette « fragilité » est intrinsèque à la technologie utilisée, et remplacer cette pièce par un autre composant offrant une meilleure tenue dans le temps (condensateur au tantale par exemple) s’avère dix fois plus coûteuse et cent fois plus polluante (http://www.consoglobe.com/coltan-metal-sanglant-dans-telephones-cg). L’argument « coût de production » peut-il être assimilé à de l’obsolescence programmée ? Ce genre de question risque de plus enrichir les avocats que les consommateurs.
Ce choix technique se retrouve à tous les stades de production d’un matériel ou d’un logiciel, le second étant généralement lié aux capacités du premier. Qui, de l’œuf ou de la poule, est alors frappé d’obsolescence programmée ? Le logiciel qui n’est plus adapté à la machine qui le supporte et dont les frais de maintenance pèsent plus lourd que sa valeur vénale, ou, par exemple, le processeur qui a entraîné cette course à la technologie ? L’obsolescence programmée n’est pas toujours liée à une panne, de moins en moins souvent d’ailleurs. A contrario, peut-on soutenir ce « droit à la longévité » lorsque l’on sait qu’un ordinateur de bureau des années 90 peut consommer plus de 400 W et ne développer que le quart de la puissance d’une machine portable contemporaine ? Idem pour les téléviseurs à tube cathodique ou plasma, les automobiles, une grande partie des appareils électroménagers… La course à la technologie, aussi insupportable soit-elle en termes de gaspillage, peut être défendue avec des arguments étayés. Là est le paradoxe de cette loi très technique, qui utilise comme véhicule un texte tout empreint d’écologie : parfois, le « durable » est écologiquement plus dévastateur que le « jetable », et les fabricants ne se gênent pas pour transformer leur recherche du profit pour une juste croisade sous la bannière du respect de l’environnement. Vous avez dit sophisme ?
Le seul juge capable de faire obstacle à cette frénésie de changement de modèle et cette course au « toujours plus » ne travaille pas dans les prétoires et ignore tout du Code Civil ou du Journal Officiel. Ce juge, c’est le consommateur, celui qui reste accroché à son Windows XP « parce qu’il fonctionne », celui qui conserve son Nokia 7110 « parce que c’est celui de Matrix », celui qui envisage sérieusement le fait que sa prochaine voiture n’aura pas d’ordinateur de bord, vecteur de panne, de captivité aux réseaux de concessionnaires mais également d’optimisation des niveaux d’injection de carburant. Mais pour que ce juge puisse, en son âme et conscience, prendre une décision équitable, il lui faut un dossier, des informations et des témoignages. Et l’on en revient à la notion d’acquisition de l’information, de tests, de compétences polytechniques. Le combat n’est pas perdu d’avance, mais le consommateur et la justice ont affaire à des adversaires coriaces.
Et la sécurité ?
Si l’on considère les implications d’une telle loi du point de vue de la SSI, les mêmes dilemmes cornéliens se posent. Entretenir un source dont l’héritage, les principes et les méthodes de conception sont, depuis, considérés comme de véritables nids de bugs, peut être à juste titre assimilé à une inutile dépense d’énergie et d’argent. Idem pour le matériel, et plus particulièrement pour les équipements (routeurs, caméras IP, outils de mobilité) dont la gestion et la maintenance des firmwares et des logiciels deviennent rapidement un casse-tête en raison de la limitation en mémoire et en performance des appareils anciens. Entre essuyer les plâtres d’une nouvelle version et subir les lourdeurs d’un programme à 70% constitué de rustines et de correctifs de sécurité, la question ne se pose jamais. Soit la DSI tente, au mieux de son budget, de moderniser son parc, soit elle se cantonne dans un « if ain’t broken, don’t fix it ». En général, ce genre d’attitude finit toujours par faire la une des journaux : TJ Maxx, Heartland, TJX…
L’idéalserait alors le système informatique « pas trop vieux », que l’on connaît et que l’on maîtrise, qui ne souffre pas trop des multiples opérations de remédiation, mais « pas trop jeune » non plus et qui ne force pas à une plongée vers l’inconnu. Le « ni neuf, ni tombé en obsolescence » programmée ou non. Mais cette logique du « ni ni » devrait, pour fonctionner, s’étendre à la totalité des éléments constitutif du S.I. … ce qui est évidemment impensable.
@William : le début de l’article mentionne le problème soulevé par les batteries d’iPod, mais il concerne évidemment tous les appareils de toutes marques dont la maintenance est artificiellement rendue plus complexe par ce genre d’intégration. Il existe de plus en plus de petites organisations et entreprises – IFixIt étant le vendeur d’accessoires le plus connu- qui tentent de lutter contre cette tendance.
@TZ : Effectivement, il s’agit d’une critique de cette disposition. Critique non pas au sens commun du terme, signifiant « dire du mal », mais au sens étymologique, autrement dit « analyse et jugement raisonné ». La loi pourrait effectivement infléchir cette tendance au consumérisme forcé si elle apportait le début d’un commencement d’ébauche de moyens pour organiser la recherche en matière de « durée de vie arbitrairement limitée ». Il n’en est rien. A quoi sert une loi qui ne peut être appliquée, sinon à la gloriole de celui qui inscrit son nom en tête de projet ?
Quant à la « facilité » avec laquelle l’obsolescence programmée peut être prouvée, je vous laisse seul juge de cette appréciation. Le cas précis des cartouches d’imprimantes, de la longévité des ampoules au tungstène ou de l’absence de capotage efficace sur les moteurs de certaines machines à laver sont les rares exemples mentionnés par le second paragraphe de l’article ( Mais hormis quelques exceptions qui relèvent manifestement de l’abus de position dominante …). Sorti de ces exemples rebattus, et pour avoir travaillé sur 4 cas précis dans le domaine de l’électronique de consommation, je puis vous assurer que, pour prouver de tels agissements et en présenter les arguments solides devant une cour de justice, il faut parfois des mois, des années de recherches comparatives, de tests destructifs, et surtout des moyens en termes d’enceintes de déverminage et d’instrumentation tels que les constructeurs sont quasi certains de ne jamais être dérangés. Et quand bien même les arguments techniques seraient-ils recevables que les frais de justices à engager, la longueur des procédures, les recours multiples prévisibles décourageraient les plus téméraires.
Plutôt qu’une loi vide de moyens, pourquoi ne pas avoir nommé un Ombudsman de l’obsolescence programmée ou renforcé les moyens d’associations telles que l’UFC Que Choisir ? Peut-être précisément parce qu’une telle initiative aurait été efficace.
Et le cas de constructeurs qui ont fixé les batteries de leur produits, impossible au particuliers et au sav de modifier facilement?
Hum, à quoi sert cet article, si ce n’est critiquer ce qui est tout de même un pas en avant ? Bien évidemment, nos ministres ne vont pas changer un « marché » qui les paye grassement, mais ils peuvent tout de même essayer d’infléchir légèrement la direction.
Sinon, l’obsolescence programmée peut être prouvée assez facilement, notamment dans les cartouches d’encre pour imprimantes.