Après la mode du « politiquement correct » qui transforma le postman en « postperson », les aveugles en « mal voyants » et les intégristes de tous bords en « orthodoxes respectables », voici que les censeurs de tous poils voient du pédophile à chaque coin de page Web et ne s´attaquent plus à la chose, mais à la représentation de la chose. Avec deux affaires cette semaine.
En Grande Bretagne, tout d´abord, pays où sévissent quelques lobbies moralisateurs qui viennent de persuader six fournisseurs d´accès d´interdire l´accès à l´article Wikipedia consacré à l´album « Virgin Killer » du groupe Allemand de hard rock Scorpions. Il faut admettre que la photo de l´album entre manifestement dans la catégorie des images franchement douteuses et racoleuses et qu´elle avait été, en 1976, interdite partout dans le monde… sauf en France. Mais cela donne-t-il le droit à des ligues bien pensantes de s´adonner au petit jeu de la réécriture de l´histoire ? Et pour quelle raison foudroyer spécifiquement Wikipedia, s´interrogent ses administrateurs, alors que, rétorquent-ils, des reproductions de cette pochette courent sur Internet depuis des années, que le disque en question se négocie encore dans les bacs des revendeurs de Soho ? Les amateurs des riffs d´Uli Jon Roth dans « Hell Cat » -aussi énergiques que ceux d´Aerosmith- pourront toujours fouiller dans les cagettes des puces de Clignancourt pour dénicher cette scandaleuse enveloppe, en passe de devenir un « cybercollector ».
Les Australiens aussi crient shocking !En voyant une parodie osée de la bande dessinée des Simpsons. Stuff.co.nz rapporte que le possesseur de ladite bédé a été condamné par le juge de la Court Suprême à une amende de 3000 dollars Australiens et deux ans de « probation ». On se demande quel est le pouvoir subversif d´une orgie de personnages jaunâtres en train de s´ébattre sur fond de Springfield, et où se trouve l´exploitation ou l´incitation à l´exploitation sexuelle des enfants supposées par la justice des antipodes.
Il est utile de rappeler, au passage, la situation géographique de l´Australie. Pays frontalier d´avec le Japon, un haut lieu de la culture bédéphile érotique dont certain Dojinshi hentai revêtent un caractère pédopornographique indiscutable. Si tous les juges du Commonwealth souhaitent « épurer » le web, leurs travaux deviendront aussi célèbres que ceux d´Hercule compte tenu de l´immensité de la tâche.
De l´immensité et de l´inutilité, devrait-on préciser. Car, sans remonter aux dessins préhistoriques, de tous temps, les artistes ont tutoyé les rivages troubles des interdits. Certaines de ces œuvres sont célèbres, tel le fantastique défouloir Disneyen de Paul Krassner. La publication de la première édition dans le Realist ne fit, contrairement à ce qu´affirme la légende, l´objet d´aucune poursuite par le très pudibond et très conservateur Walt Disney. Plus proche de nos cultures européennes, Alix de Jacques Martin, fut plus d´une fois mis à l´index. Le caractère suggestif des tenues et situations de ses personnages peut également rappeler la discussion entre Peter Graves et Ross Harris (âgé de 10 ans à l´époque) dans l´inoubliable film « Y´a-t-il un pilote dans l´avion ». Et que serait ce florilège du poison dans les arts graphiques si l´on oubliait Balthus et son érotisme sulfureux, ses esquisses équivoques et ses tableaux qui ont fait couler pratiquement autant d´encre que de peinture.
Contrairement à la Bibliothèque Nationale, il n´y a pas d´Enfer sur Internet. Pas de bibliothécaire immanent capable de juger, de classer et de répertorier un écrit, un dessin, une musique en fonction du caractère immoral de son contenu. En fonction de quelle morale, de quel pays, de quel temps d´ailleurs ? L´œuvre, contrairement au fait divers, n´appartient pas au temporel. Elle échappe, de ce fait, aux mêmes règles que celles qui régissent les vivants. En outre, il serait bon d´ajouter que ce n´est pas parce que le « Net » ne connaît plus de frontières qu´il devient possible, pour ses censeurs, de se considérer comme souverains sur tous les sujets qui s´y trouveraient. Internet n´est ni une culture ni une sous-culture mais un canal d´information. Et son état de médium ne lui permet pas de légiférer sur ces autres médias que sont la peinture, le cinéma, la musique ou la bande dessinée. Pas plus d´ailleurs que la musique -ou ses mercantis- ne possèdent le moindre droit moral sur Internet.