Notre éminent confrère Jean-Marc Manach, nous détaille comment l’on balayera et l’on distribuera le courrier au sein de la B.A. 110 de Creil, centre nerveux du réseau d’écoute militaire plus connu sous le nom de Frenchelon.
Pour des nerds nourris aux signaux radio et aux protocoles Ethernet que sont certains journalistes de CNIS-Mag, la BA110 est la plus belle cour de récréation qui puisse exister : des VLF aux hyperfréquences, des réseaux de radios logicielles reconfigurables aux uplink satellites les plus chevelus en passant par les « link » laser mobiles, il y a tout pour tout écouter dans ces souterrains-là . Inutile de préciser combien sont classés top secrets les flux qui y transitent ou les équipements qui y sont installés. Et c’est précisément ce qui fait tiquer notre confrère : comment, au sein du saint des saints, peut-on désigner une entreprise sous-traitante civile pour se charger du nettoyage, manne des Mata Hari depuis l’invention de la corbeille à papier. Car si la certification et le niveau de confidentialité de l’entreprise sous-traitante n’est en aucun cas à mettre en doute, on peut toutefois s’interroger sur le fait que chaque représentant du corps de balais de l’entreprise Défense Environnement Services soit assermenté et sélectionné avec autant de rigorisme qu’une session d’embauche pour officier du SDECE… pardon, du Deuxième Bureau… non, de la DGSE… enfin, des moustaches, quoi.
Mais si seulement, s’étonne notre confrère, cette sous-traitance se limitait aux poussières. Car ce n’est pas tout. Le vaguemestre et sa marmotte de la Base Aérienne 110 ont dû aussi « faire l’avion », remplacés par cette même société de sous-traitance qui désormais se chargera de la gestion du courrier. Dit moi qui écrit à qui et je te dirais qui tu es… sans même avoir à ouvrir l’enveloppe d’ailleurs. Même la cuisine est confiée à des civils, plus exactement à la société Avenance, filiale du groupe Elior. Choix délicat au possible, lorsque l’on sait que le moral des troupes et la force d’une armée se mesurent à la qualité de ce qu’elle a dans sa gamelle.
Indiscutablement, la disparition d’une armée républicaine de conscription a enlevé à la Grande Muette des bataillons de pousseurs de balais, des régiments de désignés volontaires pour les nettoyages d’abord, des centaines de commandos spécialisés dans les corvées de peluche. Et au prix de la formation d’un ingénieur télécom spécialisé dans l’eavedroping des signaux faibles et l’analyse des émissions à étalement de spectre, on peut comprendre que la grandeur des servitudes puisse faire grincer quelques dents. Pourtant, derrière chaque soldat opérationnel, il en faut parfois 10, 100, voire 500 auxiliaires qui se chargeront de l’intendance, tant du combattant opérationnel que du système d’arme ou de renseignement dont il s’occupe. Or, un soldat de Frenchelon a besoin de bien plus de soutien logistique qu’un biffin de première ligne. C’est pourquoi toutes les armées du monde comptent un nombre impressionnant de sergents-fourriers, de Pfat dactylographes, de vaguemestres à bicyclette, de cuistots sur leurs roulantes, de tringlots sur leurs camions et de pontonniers du Génie avec leurs clefs de 12 et leur Gillois.
Les considérations économiques et l’exemple américain d’une force combattante entourée d’un essaim de logisticiens aussi haliburtonisés que civils a-t-il inspiré le Haut Commandement Français ? C’est plus que probable. Ce qui est aussi certain, c’est que ces grands penseurs de l’Armée Républicaine en oublient de relire leurs classiques en général (ou en lieutenant-colonel à la rigueur) et la Guerre des Gaules en particulier. Notamment les passages où un certain Jules critiquait les armées de nos ancêtres, trop lentes dans leurs déplacements, empêtrées d’une myriade de villageois et d’enfants, de bœufs et de poules, de chariots et de cuisiniers. Un simple raid conduit par une centurie pouvait mettre cette intendance non-militaire en déroute et ainsi réduire à l’impuissance les plus farouches guerriers ainsi coupés de leurs bases.
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