C’est désormais devenu un rendez-vous annuel, que celui d’Alex Türk, Président de la Commission Nationale Informatique et Libertés –Cnil- à l’occasion des Assises de Monaco. L’occasion de faire le point sur l’état du « fichage » en France et en Europe, fichage effectué tant dans le monde administratif que dans l’industrie. Que faut-il craindre le plus ? Alex Türk ne tranche pas, il constate, il dénonce. Il dénonce tout d’abord la montée en puissance, souvent incontrôlée des caméras de surveillance (privées ou publiques) qui, indirectement, constituent un instrument de géolocalisation. Et de citer les quelques 60 000 caméras de surveillance qui constellent la Grande Bretagne et peuvent photographier jusqu’à 300 fois par jour un même individu au centre de Londres. Il existe, explique le « Monsieur Fichier » Français, de notables différences d’attitudes entre les différents pays de la communauté. Le Royaume-Uni peut nous sembler excessivement permissif en termes de libertés individuelles, l’Allemagne, de son côté, est considérablement plus regardante. La semaine précédant les Assises avait été marquée par une série d’articles de la presse Britannique sur le foisonnement d’information à traiter que constituait ce déluge de caméras, et sur le recrutement de particuliers « CCTV Watchers » qui passent leur temps à jouer les supplétifs de la police derrière un écran vidéo. Malgré la promotion de cette technique de surveillance dans les textes de la future Loppsi, le patron de la Cnil prétend demeurer vigilant et garder un œil critique sur les usages sécuritaires de la vidéosurveillance.
Mais tout n’est pas noir de l’autre côté de la Manche. Il faut bien admettre que ce pays est très en avance sur ce que nous connaissons en France en matière d’avertissement public sur les fuites d’information. Et notamment lorsqu’il s’agit de pertes de fichiers commises par l’Administration ou dans le secteur bancaire.
Autre sujet de préoccupation, la constitution abusive et injustifiée de fichiers à caractère personnel par des personnes ou organisme n’ayant aucune autorité en la matière. « Il nous est arrivé de trouver, au sein de fichiers tenus par des agences de location immobilière, les numéros NIR (numéro « insee » dit « numéro de sécu sans clef »). C’est totalement illégal, précise Alex Türk, et n’a jamais été approuvé par la Cnil. Nous restons très prudents quant aux usages que l’on peut faire de ce numéro »… et de citer le cas épineux de l’usage de ce fameux NIR dans le cadre d’études épidémiologiques… qui deviennent alors des fichiers nominatifs liés à des données médicales, mais pouvant être consultés à des fins statistiques, en dehors du cadre stricte d’un dossier médical et du secret qui l’entoure.
Inquiétudes, devant le peu de volonté manifeste que semble avoir l’Europe pour que se développe une autorité ou un conseil de surveillance chargé de ces questions. Türk fut un an durant à la tête du fameux « groupe 29 » (Article 29 Data protection Working Party), dont les rapports dénoncent souvent les dérives, les usagers abusifs de nouvelles technologies de flicage et de fichage. Devant l’absence de budget (« y compris pour traduire les documents de travail ou obtenir des crédits de fonctionnement »), Türk jette l’éponge et abandonne la présidence de cette institution à la fois si fragile et si importante.
Léger malaise enfin devant les effets de bord de l’Hadopi et de ses techniques de surveillance qui réduisent progressivement l’idée même de « neutralité du Net » et la liberté de l’internaute. « Léger » malaise, car le patron de la Cnil avoue avoir appuyé de son vote le passage de cette loi visant, selon lui, à protéger le droit d’auteur ».
L’avenir de la vie privée numérique ? Pour Alex Türk, elle dépend avant tout de l’individu et de son éducation. « L’on pourrait définir trois grands profils d’usagers des nouvelles technologies : les « innocents » –ou enfants de moins de 6 ans- qu’il est important d’éduquer pour les protéger contre toute dérive, les « naïfs » -des adolescents aux trentenaires- qui « surfent » avec une confiance sans borne sur les nouvelles vagues « 2.0 » et font peu de cas de leur identité numérique et des traces qu’ils laissent sur la Toile. Les « prosélytes » enfin, qui profitent du système et chantent les mérites de tel réseau social ou de telle technologie « conviviale ». Ce sont les Mark Zuckerberg (facebook) et autres Google qui font un fonds de commerce de la vie des autres.
Il manque toutefois une quatrième catégorie à l’inventaire d’Alex Türk : les prudents, les avertis, les paranoïaques ou les vigilants, appellation à choisir selon le camp dans lequel on pense se trouver. Une catégorie d’usagers d’Internet qui, tout aussi conscients des risques de dérives du système, souhaiteraient une Cnil un peu moins « sage et réfléchie », plus combative, plus radicale, plus éloignée du pouvoir politique …