Du 31 mai au 1 juin prochain, dans la ville du Havre, se dérouleront les rencontres Seagital qui seront placées sous le signe de la « marétique ». Ce néologisme désigne toute activité du monde maritime et fluvial en matière de technologies numériques. Ce serait nouveau, ce serait tendance… et de grands acteurs tels qu’IBM et EADS possèderaient déjà une offre appétissante en matière de numérisation batelière.
En fait de nouveau domaine d’activité, il n’y a strictement rien de particulièrement révolutionnaire. Les infrastructures de communication et de traitement des données dans le transport maritime et fluvial font partie des infrastructures dites Scada, de celles qui ne datent pas d’hier. Les marins ont été parmi les premiers à utiliser des outils de communication sans fil dès les années 1910/1915. La transmission de l’inventaire de chargement (le « connaissement » disent ceux qui aiment faire des phrases), les routes maritimes empruntées, les rôles d’équipages et autres documents précèdent l’arrivée du bâtiment au port depuis les années 50-60, via des réseaux de télex et de transmission Tor (protocole radio sans rapport avec l’onion router). Passons sur les Tabarly, Pageot, Kersauson ou Riguidel (tadadaaaa) qui ont popularisé l’usage de la téléphonie par satellite, de la géolocalisation GPS et balise Argos, de l’analyse météorologique basée sur la réception directe du réseau NOAA… Celui qui tient bon la barre et tient bon le vent, de nos jours, a plus souvent l’œil fixé sur son écran plat 20 pouces que le « nez dans la plume » bref, les TIC chez les marins, c’est un peu comme les inaugurations de chrysanthèmes pour les hommes politiques : une question d’habitude et une seconde nature.
Reste que les choses changent. Car lorsque l’on invente un terme marketing pour vanter les mérites d’une informatisation unifiée, l’on sous-entend très souvent le mariage d’une multitude de métiers via un réseau unique pas toujours étudié pour. Des moteurs au calcul de cap, en passant par la gestion/optimisation du fret, la coordination des logistiques terre/mer, le suivi de flotte etc., tout pourra être interconnecté nous promet-on afin de simplifier la transmission des flux entre métiers. Et c’est dans les détails que se cachent généralement les défauts les plus diaboliques. Les inquiétudes relatives aux récentes attaques et accidents «involontaires » ayant affecté des infrastructures Scada ont montré que le danger se situait toujours au niveau des jointures logicielles plus ou moins calfatées, des passerelles d’interopérabilités sabordées, des changements de technologies lof pour lof. Sans parler de l’arrivée d’équipements plus modernes censés à la fois faire économiser beaucoup d’argent et améliorer l’ergonomie générale des commandes de processus complexes. C’est ainsi que l’on a pu découvrir la présence de virus sur des architectures Wintel installées dans des complexes nucléaires, et que l’on est esbaudi des fournisseurs d’énergie ou de traitement des eaux qui ont eu le bonheur de retrouver les descriptions de leurs installations sur Pastebin… Sans oublier le jour où la Marine Française (nous savons ce qu’elle nous dit, la Mârine Frangsaiseu) a écopé d’une homérique invasion de Conficker en octobre 2009. A4-B9, Charles de Gaule touché-coulé. Depuis, les marins marris se marrent lorsqu’ils entendent parler de navigation et d’électronique. C’est plus l’homme qui prend la mer, c’est l’amer qui prend l’Ohm.
L’arrivée de la Marétique est donc une excellente nouvelle pour la profession de chasseur de failles, RSSI ou CSO en quête d’un bel uniforme. Ce terrain de jeu aux richesses insoupçonnées sera un très probable vecteur de fuites d’informations personnelles et industrielles. Car quelle que soit la méticulosité dont feront preuve les équipementiers, quelle que soit l’attention et le professionnalisme des intégrateurs, ce Scada marin prendra l’eau « par construction et par définition » pourrait-on dire. Espérons simplement que les « patch Tuesday » y seront appliqués avec célérité, et que l’on pourra sans état d’âme continuer, dans cette noble profession, à saluer tout ce qui bouge et repeindre tout le reste.