Au cours d’une intervention devant le Sénat US et via plusieurs articles publiés dans les colonnes de différents médias, James Comey, Directeur du FBI, entre en croisade contre les mécanismes de chiffrement évolués en général et ceux ne possédant pas de porte dérobée en particulier. Et de faire apparaître le spectre des terroristes, des départs de hordes d’Américains venant gonfler les rangs d’Isil en Syrie… Ah, que notre travail était plus reposant lorsqu’il suffisait de poser des bretelles sur un standard téléphonique. Mais Internet et ses techniques de protection des communications nous rendent la vie impossible, explique en substance le Premier Flic des USA.
Le Directeur du FBI souhaite le retour aux vieilles pratiques, à l’époque où le moindre algorithme de chiffrement était considéré comme une arme de guerre et était réservé aux trois armées et aux fonctionnaires de l’Administration Fédérale. Un bon logiciel de chiffrement est un logiciel que les autorités peuvent casser rapidement, soit parce qu’il est lié à une clef de séquestre, soit parce qu’il contient une porte dérobée ou un « malheureux bug d’intégration franchement involontaire ». Les vieilles barbes de notre ancienne DCSSI doivent en être encore émues, elles qui avaient imposé en France la fameuse « limitation à 128 bits ». Les barbouzes de la NSA les en remercient d’ailleurs encore de leur avoir tant facilité le travail.
Mais ce n’est pas l’avis de tout le monde. Quelques trublions font remarquer aux Sénateurs que le retour à un système de gestion des clefs de séquestre (une sorte de « passe-partout » du chiffrement garanti par une « autorité ») est à la fois un non-sens technique mais également un frein à l’économie. Un non-sens technique, on s’en doute, car les séquestres peuvent être compromis. Et quand bien même ne le seraient-ils pas qu’ils complexifient les logiciels de chiffrement. Or, plus la complexité d’un logiciel est grande, plus le risque d’y retrouver des erreurs de programmation ou d’intégration s’accroît.
L’on ne peut ignorer également, surtout en ces périodes d’intensives écoutes téléphoniques et de piratages entre « pays amis », l’importance que revêt l’usage d’un outil de chiffrement fiable. C’est là le ciment d’une confiance dans le monde des affaires numériques. Sans cette confiance, point de business. Et l’attitude actuelle du Gouvernement Fédéral ne laisse strictement aucune illusion sur le peu de cas qu’elle fait du secret des affaires, surtout si lesdites affaires sont celles de sociétés étrangères. En revenant sur le principe d’un chiffrement reposant sur le « aie confianssssssse » chantonné par les agences à trois lettres, les USA pourraient bien voir diminuer leur balance du commerce extérieur.
Ainsi parlait Steeve Bellovin, ainsi s’exprimait également Bruce Schneier et quelques autres : Hal Abelson, Ross Anderson, Josh Benaloh, Matt Blaze, Whitfield Diffie, John Gilmore, Matthew Green, Susan Landau, Peter Neumann, Ron Rivest, Jeff Schiller, Michael Specter, et Danny Weitzner. Des noms qui, pour la plupart, sont liés à tel ou tel algorithme : Diffie-Hellman, RSA, TwoFish…
Cette « internationale des spécialistes du Chiffre », même si elle ne parvient pas à convaincre les édiles Etats-Uniennes, pourrait achever de convaincre les mathématiciens des autres contrées du globe qu’il est important, vital même que l’on voit se diversifier l’offre en matière d’outils de chiffrements Open Source. Pour l’heure, le monde « crypto » (du moins dans le domaine des applications civiles) est à plus de 90% made in USA. Ce qui revient à dire que si les arguments de James Comey parviennent à faire mouche, c’est 90% des échanges numériques qui sont potentiellement compromis …