Le Social Science Research Council vient de publier un rapport de près de 450 pages intitulé « piratage des médias dans les pays émergeants ». Une copie de l’étude peut être consultée en ligne sur Scribd. Ce rapport est placé sous licence « Consumer Dilemna » (8 euros pour les lecteurs des « pays riches », 2000 $ pour les éditeurs). 450 pages de rappels historiques et de constatations simples : si les « efforts » consentis par les Majors sur les médias semblent de prime abord très élevés, leur coût d’usage est identique, voir supérieur lorsque ramené au pouvoir d’achat moyen en Afrique du Sud, Brésil, Russie, Mexique, Bolivie ou Inde. Ce n’est pas le manque de « moralité » qui fait d’un pays un foyer de piratage, mais la conjugaison de plusieurs facteurs, notamment la faiblesse des revenus, les prix élevés des biens de consommation de l’industrie du divertissement et le faible coût des technologies facilitant l’écoute (ou la visualisation) et la diffusion des contenus numériques.
A cette fracture économique et numérique s’ajoutent les mesures parfois discriminatoires des grands réseaux de diffusion de contenu. Les Netflix, les Hulu, les Apple, les Microsoft visent un marché mondial… mais à prix unique. Un prix aligné sur le pouvoir d’achat des pays riches, que ne peuvent supporter les consommateurs des pays moins fortunés. S’ajoute à cette discrimination par l’argent une autre forme de ségrégation, imposée, quant à elle, par les diffuseurs eux-mêmes, qui bloquent la vente de leurs contenus dans certains pays, blocages parfois liés à des ententes entre éditeurs, parfois justifiées par des considérations protectionnistes (découpage des réseaux de jeux en ligne en Amérique du sud, discrimination de certains diffuseurs de streaming en Europe). De là à dire que ce sont les éditeurs qui sont principalement responsables du piratage, il n’y a qu’un pas que les auteurs du rapport n’hésitent pas à franchir. Situation d’autant plus ubuesque que ces mêmes éditeurs entament, dans tous les pays, des campagnes de lobbying incitant les gouvernements à mettre en place des moyens de rétorsion et des arsenaux législatifs pour lutter contre le piratage. Le piratage, prévient le préambule de l’étude, ne semble être la conséquence que d’une inadéquation entre l’offre et la demande
L’étude s’achève avec un chapitre captivant, consacré au piratage des livres au travers des âges, notamment durant la période mouvementé du XVIIème et du XVIIIème siècle en Europe. Cette perspective historique, les conséquences des monopoles octroyés par le régime élisabéthain aux éditeurs de bibles ou d’abécédaires a été le premier vecteur de piratage par des imprimeurs francs-tireurs estime l’auteur. L’on peut y voir une allusion directe au monopole de fait des quatre Majors du monde de la musique et de la mainmise annoncée d’un Amazon de plus en plus omnipotent.