On ne dit plus « le patron est parti avec la caisse », mais « le VP s’est enfui avec le fichier client ». En ces périodes de décapilotade économique, il est souvent d’usage que les victimes des charrettes se payent sur la bête. Il n’est pas rare qu’un « commercial » s’en aille avec sa liste de contacts, ou qu’un chef de projet emporte avec lui une maquette prometteuse n’ayant encore fait l’objet d’aucune protection juridique. Procédé peu délicat et parfois difficile à plaider.
Mais lorsque Nick Belmonte, Vice Président d’une petite entreprise Canadienne de marketing direct, oublie de restituer les bandes de sauvegarde du fichier client, lequel contiendrait également les numéros de carte de crédit de certains d’entre eux, on crie au vol d’identité. Dame, 3,2 millions de noms dont 800 000 associés à des données bancaires ou financières, une valeur de 10 millions de dollars au marché noir… le Reg s’en fait l’écho, MXLogic reprend, ChutneyTech itou pendant que DarkReading bat la mesure. Un patron émargeant à plus de 150 000 $ qui disparaît avec les outils de production, quelle belle manchette pour les journaux.
Mais en fouillant un tant soit peu dans cette trop classique affaire de fuite d’information, l’on tombe sur un tout autre éclairage : celui du Sun de Vancouver, le journal local. Un Sun qui nous apprend que la plainte a été déposée par la toute nouvelle pédégette, Gloria Evans, laquelle n’a pas de mot assez dur pour qualifier le manque de sérieux de Belmonte, un homme qui ne venait au bureau que lorsque cela lui chantait. Et c’est, hasard étonnant, le fils même de cette pédégette, faisant office d’Administrateur Réseau, qui découvre la disparition de la fameuse bande de sauvegarde. Une bande dont les données étaient chiffrées « mais dont les mécanismes nécessaires à son déchiffrement étaient également situés sur la bande en question » (sic). Autre hasard tout aussi surprenant, ladite pédégette, fraîchement débarquée, succède à un certain Randall Thiemer, ami proche du VP soupçonné. Alors, affaire de succession ? Probablement plus qu’on ne peut le penser. Car Thiemer avait lui-même été associé à un certain Ray Ginnetti, lequel avait des accointances avec les Hell’s Angels de la région. Une fréquentation brutalement arrêtée le jour ou cet amoureux de la moto croise malencontreusement le trajet d’une balle de revolver. Ginnetti encore, dont le passé trouble n’est qu’une succession d’opérations de boursicotage douteuses reposant sur des listes de « gogos » -les fameux fichiers clients-. Il faut dire qu’on n’est pas regardant sur les achats massifs et les ventes brutales, au stock exchange de Vancouver. Cette place financière est réputée pour ne pas trop regarder qui échange et dans quelle condition. Et les retards de publication des bilans financiers (10K et 1Q form) sont monnaie courante. Mais revenons à Ginnetti. Il trempe également dans le « spam à la loterie », business légal en Amérique du Nord, mais notablement lié aux filières mafieuses de blanchiment d’argent. Scam, arnaque au pseudo délit d’initié camouflé derrière une société écran baptisée Genesis Ressources … le tout reposant sur des fichiers de « marketing direct » qui, dans d’autres pays, pourraient bien porter le nom de « base de données de phishing », voilà l’origine du clan Ginnetti/Thiemer/Belmonte. Car on ne peut imaginer un instant que le Vice Président d’une entreprise ne connaisse pas les rouages intimes qui sont à l’origine de l’entreprise qu’il vice-dirige avec vertu.
Alors, guerre de succession ou vol de données exposant les avoirs d’innocents clients ? Cyber-délinquance en col blanc ou traditionnel règlement de compte mafieux ? Qu’importe. Ce qu’il ressort de cette histoire, c’est qu’il est souvent bien pratique d’utiliser une accroche à la mode –la fuite d’information provoquée par un employé indélicat- pour mieux camoufler un banal fait-divers. Il est également parfois difficile de retracer l’origine exacte d’une affaire dans le bruit consensuel qu’Internet génère chaque jour.