Aux craintes infondées des écologistes et affirmations péremptoires des opérateurs (et d’une bonne partie de l’UMP) les sénateurs ont botté en touche, opposant au très peu scientifique « principe de précaution » un texte tout autant approximatif restreignant très partiellement certains abus. Au titre de ces limitations, l’interdiction de réseaux Wifi dans les crèches et structures d’accueil de la petite enfance, interdiction de la publicité relative aux équipements mobiles à destination des enfants, définition de l’électro-hypersensibilité, limitation des seuils d’exposition du public aux ondes électromagnétiques à 0,6 volt par mètre et obligation de délivrance d’un permis de construire avant installation de toute antenne-relais. Il faut comprendre que l’abaissement du seuil d’exposition se traduira par un réseau d’émetteurs peut-être moins puissant mais considérablement plus dense. Cette multiplication des antennes ne va pas probablement calmer les esprits.
Tressons au passage une couronne de minute Warholienne à Madame la Député Tallard (Charente-Maritime) pour avoir proposé la Suppression des anglicismes « Wifi » et « Box » au profit des mots : « accès sans fil à internet » et « boîtiers multiservices ». Rappelons que, bien que purement marketing, le terme WiFi avait au moins l’avantage de ne faire référence qu’à une et une seule chose : une liaison de type 802.11, sur 2,4 ou 5 GHz. La formule « accès sans fil à Internet », terme dont le flou technique le dispute à la vacuité juridique, englobe désormais tout type de transmission radio qui, d’une manière ou d’une autre, véhicule des trames IP. Ce y compris en ondes courtes. Hors donc, une « box » d’opérateur travaillant dans les franges basses du spectre radio (aux environs de 0,5 à 2MHz) devrait-il être qualifié d’accès sans fil à Internet ou de « Boîtier multiservices » ? Même question pour les prises CPL. L’ignorance et le dogmatisme sémantique sont les parents de l’inexactitude et de la désinformation. L’on croyait en avoir fini avec la novlangue vantant, par exemple, les mérites de la « vidéoprotection ». L’enfer est pavé d’intentions égotistes.
Mais le point le plus important, hélas souvent élidé par nos confrères de la presse grand-public, est la réalisation d’une étude d’impact impartiale sur la « santé humaine et sur l’environnement lors du développement de toute nouvelle application technologique émettant des rayonnements électromagnétiques ». Car il faut bien l’admettre, les craintes et les certitudes en matière de rayonnement électromagnétique relèvent d’un phénoménal manque d’information et d’une suspicion souvent légitime. D’un côté des études commanditées par des opérateurs concluant à l’innocuité ou supportées par des partis connus pour pencher systématiquement du côté des intérêts industriels, de l’autre des rapports alarmistes manquant généralement aux règles les plus élémentaires des protocoles de test. Rien, ou si peu, n’a été fait pour que des réponses claires et impartiales aient pu être rendues publiques. Seul un collège totalement neutre, réunissant des spécialistes du domaine radio, des anatomopathologistes, des experts en maladies somatiques pourrait enfin dépassionner le débat.
Reste qu’en voulant jouer la carte du flou, les députés ont désamorcé quelques sujets de querelles mais rendu la loi sujette à de multiples interprétations. On ne peut, par exemple, confondre allègrement un relais SHF et un émetteur ondes courtes, comparer le rayonnement et la puissance d’un faisceau hertzien et ceux d’un émetteur « broadcast », ou estimer de la même manière les milliwatts d’un routeur WiFi sur 5 GHz et les Watts d’un relais DCS. Or, nombreux sont les passages du texte qui mentionnent les « rayonnements électromagnétiques » de manière totalement générique.
Bien que totalement occultés du texte, on ne peut non plus ignorer les craintes des « hyper-électrosensibles », quand bien même leurs plaintes ne reposeraient sur aucune preuve technique et aucune réalité physique. Les maladies psychosomatiques peuvent s’avérer dramatiquement destructrices et ne peuvent être ignorées. Et ce n’est pas en prétendant favoriser la création de zones blanches dans les villes et les campagnes que l’on parviendra à résoudre la question. Les ondes (les hackers « sans fil » leur disent merci) ne connaissent pas la notion de frontières géographiques et sont omniprésentes. Il n’y a que sur le papier des prospectus que la portée d’une carte WiFi ne dépasse pas 100 mètres. Reste que si ces ghettos « Hertz-free » demeurent un non-sens technique, ce ne sont pas moins des promesses d’aires de repos technologiques, des zones rompant les « laisses électroniques » que sont les équipements mobiles, des thébaïdes de décrochage ou de désintoxication numérique. Même si l’on est « pro-ondes », ce genre d’initiative ne peut que plaire : en cas de wifi-burnout, réfugiez-vous ici.
Il est à craindre que la couleur floue puisse devenir la teinte permanente des textes légiférants ce domaine. Une dentelle d’exceptions est sur le point de se tisser, notamment pour tout ce qui concerne le fameux « internet des objets ». Sur le cri de « mort aux fils » et « à bas les prises et connecteurs », les marchands de RFID, d’appareils Bluetoothisés, de terminaux Wifi, de périphériques 802.22 UHF et de compteurs électriques intelligents ont obtenu le soutien des politiques de tous bords. Lesquels voient dans des nouveautés technologiques la promesse d’une reprise de la nouvelle économie 3.0. Las, il ne faudra probablement pas 3 ans avant que 80% de ces équipements soient construits en Orient (comme c’est déjà le cas pour la majorité des équipements sans-fil actuellement commercialisés), et la multiplication des terminaux de téléconsultation se sera soldée par de nouvelles compressions de personnels au nom du progrès et de l’efficacité. La bataille du Sans Fil n’est peut-être pas toujours là où on l’attend.