Moi j’vais t’dire, Julot : le métier s’perd, la boulange fout l’camp. Avec l’informatique, les imprimantes « jet d’encre » et les pigments métalliques, même un cave se fait du 100 Euros plus vrai que nature. Notre maître à tous, Saint Philippe le Bel, doit s’en retourner dans sa tombe. Attend… j’t’esplique :
Quand j’étais encore qu’un demi-sel, un affranchi de pacotille jouant les saute-ruisseaux du côté de Saint Amand, on peut dire que j’ai appris le métier sur le tas et à la dure. La taille douce, la gouge habile sur la feuille de cuivre, la réduction à la chambre, la fabrication du papier par macération de serpillières, le casse-tête du filigrane… Tu peux pas imaginer. Mon film préféré, c’était « Le cave se rebiffe »… 15 fois que j’lai vu. Parole, j’finissais par me prendre pour Biraud. Et quand j’ai sorti mon premier Pascal de la plaque, après 5 années de labeur, j’en ai chialé de bonheur. Et c’est grâce à ces 40 planches numérotées que j’ai pu m’offrir 10 ans de vacances à Cayenne et 14 dans le quatorzième, pour me refaire une Santé. J’ai eu du bol, j’ai échappé à perpète. Faut dire que mon bavard, je ne l’avais pas arrosé avec de faux talbins… ça aurait pu être mal interprété.
Mais tout çà c’est fini. Tiens, je « seurfais » sur le site des bourres Helvètes. C’était pourtant une sacrée valeur refuge, le Franc Suisse. Mais depuis 2006, leurs pandores ne tiennent plus les statistiques de nos œuvres. Idem au Canada… Quand à l’Europe, retrouver, sur Europa, des statistiques postérieures à 2006 relève de l’exploit ou d’une longue expérience dans la fonction publique, section archive. On devient quantité négligeable, la boulange trépasse. La faute à la concurrence déloyale des amateurs et des caves, la faute aux truands de la haute qui font dans le virtuel. Y’a plus de morale ! Aujourd’hui, celui qui fait dans le pécule de singe, y pointe au PMU le dimanche, y turbine chez Renault ou il émarge au conseil d’administration de Paribas. Les affranchis sont dépassés.
Zieute ces deux articles signalés par Bruce « horsetail » Schneier. Le premier dit « tout le monde en fait », le second titre « c’est plus ce que c’était ». J’te fais le topo : avec l’arrivée des imprimantes à jet d’encre « qualité photographique », avec la richesse des offres des papetiers, se faire une série de faux Pesos maquillés comme Beyoncé devient aussi simple que d’expédier un email. Mais la qualité n’y est pas. « C’est un art qui se perd », affirme même un flic interviewé pour la cause. Je sens presque poindre un regret. Tu sais, les limiers de la Maison Royco, y z-ont passé plus de 8 mois de filoche avant de me faire aux pinces. Maintenant, ils alpaguent du retraité ou de l’étudiant. Y’a même plus d’honneur à chasser le truand.
Tu vas me dire, si elles sont si mal faites, ces images de la Banque de France, comment qu’on arrive à les écouler ? Circuit classique, mon pote. Aux étrangers dans les aéroports, dans les bureaux de tabac avec la combine du billet marqué et du double achat, dans les gares à la petite semaine… tiens, c’est d’ailleurs à cause de la SNCF que le métier s’est perdu. En collant des changeurs de monnaie à côté des distributeurs de billet, les tape-dur du rail ont provoqué l’arrivée des premiers 100 balles photocopiés. Et plus ils perfectionnaient les méthodes de détection de fausse thune, plus les petits malins amélioraient leurs œuvres… enfin, pas œuvres, copies techniques, y’a nuance. Le véritable mérite, y revient à messieurs Xerox, Hewlett-Packard et Epson. Et p’tète un peu à madame Photoshop. D’accord, y’a eu des tentatives de résistance de leur côté, comme cette histoire d’identifiants d’imprimante, mais franchement, si t’achètes ton matos sur eBay, le meilleur fourgue de la planète, en payant via mes poteaux d’eGold, y vont faire comment, les archers de Château-Poulagas, pour retrouver mon atelier ? Avant qu’ils aient eu le temps de gamberger, on est déjà sur les plages de Copacabana, les poches pleines de Yuan, l’artiche de l’avenir.
La fraîche de contrebande augmente, en quantité, mais pas en qualité. Tu vas me dire, c’est justement le moment de ressortir les lessiveuses et l’Heildelberg. Au milieu de toutes ces roupies de sansonnet, nos 100 Euros d’artiste passeraient pour plus vrai que nature. Pour peu, je reprendrais du service.
Remarque, y’a encore aut’chose qu’a flingué la boulange à bout portant : c’est la vir-tu-a-li-sa-tion. Entre le pèze-plastique des cartes de crédit et les virements Internet, plus personne ne touche son oseille. Le blé, ça reste dans les banques, c’est une ligne dans un tableur. Tu payes via Swift, tu récupères sur iBan, et ton pognon, tu le vois jamais. Ca en a inspiré, des artistes de la carambouille. Regarde, les phisheurs, qui se font du numéro de carte de crédit avec autant de légèreté que j’te gravais un Victor Hugo ou un Bonaparte au pont d’Arcole… Va les pincer, les mecs ! Ils font du jonc sans sortir de leur fauteuil. Ils étouffent les économies d’une vioque qu’est à 1000 lieues de leur fief. L’équipe du Galinacé’s Club, au quai des orfèvres, elle reste bloquée au frontière, avec ses mandats nationaux et ses procédures administratives. Elle doit l’avoir fumasse, la Volaille’s Company. D’autant plus que dans 80 % des cas, les caves ne se plaignent pas, les montants sont trop faibles.
Et puis, avec cette mode de la virtualisation, même les retraités s’y mettent. Et dans les grandes largeurs, encore. Tu te rappelle Bernard Madoff, l’ancien daron du Nasdaq avec sa trogne de papy-gâteau et sa cravate-limace de rangé des voitures ? Il en a fait, du faux-radis, lui. Plus de 50 milliards de dollars, le PNB d’un état Africain. Même si tu tentais de faire la même chose avec une imprimante jet-d’encre et du Vélin d’Arche, ça te coûterait tellement en fournitures qu’il faudrait que tu prennes un emprunt sur 20 ans. Lui, les 20 ans, il va les prendre autrement. Mais pendant qu’il va aggraver le déficit du budget de l’administration pénitentiaire de son pays, y’en aura combien qui continueront à trafiquer du « junk bond » et du « subprime » estampé Banque de France, en toute impunité et en quantité pharaonique ? Allez, j’te laisse bosser ton stage de développeur PHP. T’as raison de te reconvertir pendant qu’il est temps. Et puis, la nitro et les coffres, c’est comme les cigarettes. Ca gâte la santé et çà paye plus.