Verba volent, scriba manent ? Certainement plus ! s´exclame Bruce Schneier dans la reprise d´un de ses épitres initialement écrit pour le Wall Street Journal. Ce billet, intitulé « Le futur des conversations éphémères », peut être résumé ainsi : « No Future pour les conversations éphémères ». Car les babillages futiles de notre époque moderne sont -ou peuvent être- gravés à tout instant dans l´airain des disques durs d´un quelconque fournisseur de services. Des balbutiements SMSisés de nos ados via Messenger ou autre messagerie instantanée, en passant par nos conversations téléphoniques VoIPisées, les fichiers transmis « pour information », les Twitters, les Facebook/LinkedIn, les blogs… tout ce que fait l´homme moderne peut être tracé, stocké, puis ressorti un jour à un moment peu opportun. Même les « verba » manent désormais.
Mais le Blackberry d´Obama, dans tout çà ? C´est précisément ce qu´explique le New York Times : Ce que pouvait se permettre le sénateur, grand utilisateur d´emails sur terminal mobile, n´est plus permis au Président. Il sera interdit de Blackberry, y compris dans le cadre de ses communications privées. Car en utilisant des moyens de communication contemporains qui échappent aux archives institutionnelles, c´est tout un pan de la mémoire du pays qui s´efface. Pour la durée d´un mandat, le moindre SMS familial, à l´instar des écrits relevant de l´exercice du pouvoir, transitera par des outils maîtrisés par les services de sécurité de la Maison Blanche, avec leur cortège de chiffrement, de camouflage des sources et des origines et d´enregistrement minutieux de leur contenu. Le moindre geste d´un homme d´Etat appartient à l´histoire, et ce n´est pas à un simple fournisseur de téléphones ou à un vague secrétaire d´Etat de déterminer ce qui, ou non, sera intéressant pour un historien dans un avenir lointain. Seuls les dictateurs et monarques absolus ont parfois tenté de réécrire leur histoire, en censurant tantôt une opposition politique, tantôt un autre aspect peu glorieux de leur règne. Mais il faut bien admettre que, depuis 5 ou 6 siècles, il se trouve toujours un Philippe de Commynes, un Machiavel ou un Saint Simon pour rapporter les faits, banals ou glorieux, des grands de ce monde.
Elle est d´ailleurs paradoxale, cette notion de « chose publique », de « Res publica » au sens premier du terme. Durant un mandat tout entier, les moindres paroles, gestes, écrits d´une personne appartiennent à la postérité et à la contemplation de tous. Mais une contemplation qui est elle-même soumise à une période conservatoire plus ou moins longue, protégée par le Secret d´Etat. Avant, tout accès à ces données relève de la « tentative d´intelligence et atteinte à la sûreté de l´Etat »… à quelques jours près, un employé de Verizon en aurait fait la dure expérience, pour s´être intéressé d´un peu trop près au détail des communications passées par le candidat à la Présidence. Subtiliser le carnet d´adresses de Paris Hilton, c´est œuvre de paparazzi. Examiner la « fadet » (facture détaillée) du premier homme des Etats-Unis, c´est de l´espionnage.
Pourtant, l´article de Schneier insiste sur ce point, notre monde moderne n´est qu´une succession de traces numériques. Le Web, consulté ou écrit, est devenu une forme quasi innée de communication, pratiquement aussi naturelle que la parole. Il est totalement impensable, à moins de vouloir passer pour un tyran inique ou un parent rétrograde, d´interdire la messagerie instantanée ou le blog à un adolescent. Il n´est plus concevable, pour 80 % de la population, d´affirmer quelque chose sans en avoir vérifié ou puisé l´origine dans les entrailles d´un Google ou d´un Wikipedia. Il n´est plus envisageable même, dans le cadre du travail, de ne pas contrôler si telle ou telle bibliothèque n´a pas déjà été développée, si tel ou tel outil ne serait pas déjà disponible sur un Sourceforge ou une ressource de freewares. A terme, il sera très probablement nécessaire que le droit et l´esprit des lois s´adapte à cette nouvelle situation. Non seulement parce qu´il est de moins en moins naturel de considérer que l´usage d´Internet à des fins « privées » relève de l´abus de bien social -on n´interdit plus de parler sur le lieu de travail depuis le gouvernement Thiers, demain, on ne devrait plus interdire cette autre forme d´expression quasi naturelle qu´est le « en ligne ». Ensuite, parce qu´il faudra bien unifier un jour ce qu´il est « possible » de faire et ce qui relève de l´abus, sans que cela soit le fruit d´un capharnaüm « d´avenants au contrat de travail » ou de constats « d´actes non nécessaires à l´exercice d´une fonction ». Il y a, en ces périodes de récession économique, bien des abus qui servent de prétextes pratiques pour éviter à certains patrons -une minorité espérons-le- les charges financières d´un « plan social ». Enfin, parce qu´il sera également nécessaire de définir des limites juridiques de ce qu´il est possible d´exhumer et de faire ressortir sur la place publique. Il est de plus en plus fréquent de voir utilisé par les parties adverses, dans des procès d´Outre-Atlantique, un vieux « mémo confidentiel » ou un ancien échange d´email privé, souvent utilisé hors contexte.