Nos confrères de IT World titrent « La grande vérité de Snowden : nous sommes tous de moins en moins libre ». Un papier constellé d’understatements dignes d’un humoriste britannique. Notamment au fil d’un passage abordant la réaction des opérateurs de services Internet tels que Zuckerberg de Facebook ou Larry Page de Google, qui clament à qui veut entendre « nous n’avons pas de backdoor »… dame oui, elles serviraient à qui, elles serviraient à quoi, puisque la NSA possède un droit d’accès officiel et direct ? Ceci sans perdre de vue qu’avec leur arsenal de ZDE, les agences à trois lettres n’ont pas franchement besoin d’outils techniques aussi instables et risqués qu’une porte dérobée.
Snowden a soulevé un coin du tapis, et il y a un sacré paquet de saletés là -dessous, écrit Bruce Schneier. Avant même de poursuivre l’imprécateur pour haute trahison et divulgation de documents confidentiels visant à la sécurité nationale (mais est-ce plausible), il faudrait peut-être enquêter sur les activités « légalement illégales » de la NSA et du FBI, sur la cécité (ou la complicité) des politiques qui ont permis cette dérive. Sans oublier la manière, aux Etats Unis, dont on a l’habitude de traiter les dénonciateurs de scandales et tous ceux dont le procès pourrait à son tour déclencher d’autres procès bien plus dérangeants. Jusqu’à présent, la Sûreté U.S. ne fait pas dans la dentelle : la mise au secret dans une prison hors du pays. Si un Snowden Français faisait son apparition, devrait-on rouvrir l’Ile du Diable ou le Château d’If ? Faut-il chercher sur terre un endroit écarté Où vivre en déshonneur on ait la liberté ?*
Les USA sont-ils malades de leurs fonctionnaires ? Car un imprécateur qui dévoile quelques secrets d’Etat, c’est un épiphénomène. Deux de suite en moins de 2 ans et demi, ce n’est plus un hasard, c’est une mode, semble penser Greg Miller du Washington Post. Car l’on ne peut s’empêcher d’établir un parallèle entre l’affaire des « fuites Wikileaks des dépêches d’ambassade » de Bradley Manning et la divulgation du Powerpoint NSA Maudit d’Edward Snowden. Tous deux ont agi avec le sentiment d’une action quasi messianique. Il y a, dans l’attitude de ces deux hommes, tout le poids du folklore Hollywoodien et une grande partie du rêve américain : le mythe de l’homme investi d’une mission rédemptrice face à la corruption du système. Snowden laisse d’ailleurs clairement entendre dans un email envoyé au Whashington Post qu’il espère que son exemple sera suivi.
Mais là ne s’arrête pas la comparaison. Tous deux ont servi en Irak et ont fait partie des cohortes de militaires qui sont partis la fleur au fusil défendre la veuve et l’orphelin Qatari et sont revenus sans illusion. Tous deux n’appartenaient pas à la hiérarchie militaire, ne sortaient pas d’une université prestigieuse, tous deux, sans être de véritables hackers, possédaient une maîtrise « geekesque » des outils informatiques (Manning maîtrise la programmation en C++), tous deux disposaient des droits d’accès nécessaires pour consulter des informations confidentielles ou à diffusion restreinte. Le volume d’informations exfiltré par Manning est en revanche considérablement plus volumineux, son extraction a pris plus de temps, ce qui lui a très certainement donné à réfléchir sur le sens de ses actes et interdit de conclure que son attitude a été moins réfléchie que celle de Snowden. Lequel Snowden s’est toutefois préalablement réfugié en Chine avant que de rendre publique son document Prism. Il n’a mis nommément en cause aucune personne physique, et ne semble pas avoir laissé une « empreinte Internet » particulièrement visible derrière lui.
Dans les deux cas, il est certain que ce qui a motivé ces deux imprécateurs relève plus du sentiment d’exaspération que d’une réaction égotiste de recherche de célébrité. Exaspération elle-même née, et c’est là le paradoxe, d’un nationalisme profond et idéalisé. Lorsque l’Etat ne ressemble plus à l’image d’Epinal qu’il tente de donner, lorsque les institutions semblent ne plus faire cas de l’individu, il se crée des Lone Rangers, des Roy Rodgers, des Ralph Nader, des Erin Brokovich, des Bradley Manning et des Edward Snowden qui forcent l’admiration d’une partie de la population et de la presse nord-américaine.
Ndlc Note de la Correctrice : Citant Lapointe (Bobby) citant lui-même Jean Baptiste Poquelin, qui écrivait tout en grinçant des moliaires : de toute manière, tout est loué depuis pâques.