Lorsqu’une richesse s’épuise, il arrive souvent que l’on tente, quelques années plus tard, d’en ré-exploiter les déchets. Ce fut le cas des « stériles » des mines de galène argentifère du cap Sunion en Grèce qui firent la richesse d’Athènes. 2500 ans plus tard, les déchets de Thémistocle furent retraités pour en extirper les dernières onces de métal précieux. Mais le peu que l’on récupère rembourse rarement les équipements mises en œuvre.
C’est pourtant ce que tente de faire une nouvelle proposition de loi visant à ré-exploiter de manière commerciale les écrits toujours soumis aux droits d’auteur mais indisponibles en librairie et orphelins (autrement dit sans descendant connu des auteurs). Cette tentative d’exploitation des « stériles » littéraires soulève l’indignation de plusieurs associations, dont Adullact, l’Aful et Ffii France, qui estiment cette tentative de récupération des œuvres oubliées comme inutile et surtout nuisible à la diffusion réelle de l’œuvre.
En pratique, explique la loi, une « société de gestion collective obligatoire » (SGCO), serait chargée de décider de la republication ou de l’oubli d’une œuvre écrite, par exemple, au lendemain de la guerre de 14. Ceci, précisent les associations, sans même être obligé de rechercher les éventuels auteurs ou ayants droit : de la matière première à pas cher, qui spolierait donc les familles des auteurs au profit des professionnels de l’édition, tout en s’arrogeant sans recours possible le droit de donner des ailes à un livre ou l’envoyer définitivement au pilon mémoriel. D’autant plus qu’il n’est pas question pour la SGCO « d’investir » sur ces auteurs oubliés pour les ressortir sur papier, mais de diffuser leurs œuvres sous forme numérisée, immatérielle, donc sans coût réel de distribution ou de fabrication… Le tout fort probablement, accompagné de protections anti-copie de type DRM interdisant de transférer une œuvre d’un support à un autre, d’une main à une autre, comme cela est le cas depuis près de 5000 ou 7000 ans que l’on utilise l’écriture. La SGCO est en outre libérée de tout droit d’exhaustivité. L’on aurait pu considérer que la saisie de l’intégralité des ouvrages retrouvés en bibliothèque puisse justifier cette exploitation commerciale, elle-même destinée à financer ce travail de « fouille de sauvetage » littéraire. Non, pas plus qu’il n’y aura de recherche des héritiers ou des auteurs, il ne saurait y avoir le moindre travail de préservation le plus complet possible. La SGCO n’a pas mission de préserver un patrimoine mais d’exploiter ce qu’elle estime exploitable. Voilà qui rappelle quelque peu une autre forme d’appropriation du travail des générations passées dans le domaine des semences agricoles.
Il s’agit ni plus ni moins, explique le porte-parole de l’Aful, de légaliser ce qu’avait tenté de faire Google il y a quelques années et qui avait soulevé l’indignation de ces mêmes députés. C’est là une forme de piratage légal, insiste le communiqué commun des associations.
Existe-t-il une solution alternative ? Pour Bernard Lang, de l’Aful, la voie royale s’appelle « le Libre ». La création d’une filière de diffusion des ouvrages un peu à la sauce Linux, Projet Gutenberg ou Creative Commons, qui permettrait, grâce à une diffusion plus vaste car moins contrainte, d’offrir une nouvelle jeunesse aux « Histoires d’un petit parisien autour du monde » et autres romans oubliés du début du XXème siècle. « Présumer que les auteurs des œuvres indisponibles, donc ayant un faible succès commercial, souhaitent être diffusés numériquement de façon lucrative plutôt que gratuitement est donc manifestement abusif. L’imposer va à l’encontre de l’objectif affiché de relancer la littérature du XXe siècle, et empiète sans nécessité aucune sur le droit exclusif des auteurs à interdire l’usage et l’exploitation de leurs œuvres » insiste l’Aful. D’autant plus que cette loi peut conduire à une situation paradoxale. Puisque la SGCO s’approprie un droit exclusif sur les œuvres, « on peut se demander si un auteur décidant d’exploiter lui-même sur l’Internet son propre livre, publié au XXe siècle et indisponible, risquerait alors des poursuites en contrefaçon et une condamnation à 3 ans de prison et 300 000 euros d’amende ».