San Francisco, RSA Conference : Adi Shamir, le digne “S” de RSA et Pape du chiffrement, s’est rangé, devant un parterre de centaines de professionnels de la sécurité, du côté du FBI dans l’affrontement qui l’oppose à Apple. « Cela n’a rien à voir avec l’installation d’une trappe dans des millions de téléphone » estime-t-il. «Dans ce cas précis, il est clair que ces personnes sont coupables. Elles sont décédées. Leurs droits constitutionnels ne sont pas en jeu. Il s’agit là d’un « crime majeur » qui a entraîné la mort de 14 personnes. Le téléphone est intact… tout ceci plaide en faveur [de la position] du FBI ».
Un avis qui tranche très nettement avec la majorité des participants à cette manifestation. Car les professionnels de la sécurité, rarement enclins à un angélisme béat et qui se méfient des attitudes manichéennes et simplistes, ont très bien compris qu’il s’agit là d’un précédent d’une importance capitale. Surtout dans un pays où la nature jurisprudentielle de la justice tient un rôle aussi important. Tout laisse prévoir un lent glissement sémantique dans la qualification d’actes délictueux, du terrorisme (non prouvé dans le cas de la tuerie de San Bernardino) à l’ensemble des « crimes de sang », puis des crimes de sang au actes ayant indirectement pouvant entraîner la mort (c’est le cas de la totalité des jugement liés au trafic de stupéfiant par exemple, mais également de la conduite sous l’emprise de l’alcool… ou le fait de traverser en dehors des clous).
C’est donc un Adi Shamir isolé qui tente de défendre le point de vue « anti-crypto », situation oh combien paradoxale compte tenu de son rôle dans le développement des outils de chiffrement modernes. Car l’ensemble de l’industriel, la totalité des organismes de défense des droits civiques, et même certaines associations professionnelles du droit inondent jour après jour la « Central District Court » de Californie de témoignage en « Amicus Curiae». AirBnB, Atlassian, CloudFlare, eBay, Github, Kickstarter, LinkedIn, Mapbox, Meetup, Reedit, Twitter dans un groupe compact, mais également une association de juristes, sans surprise l’Epic (Electronic Privacy Information Center), liste à laquelle on doit ajouter Amazon, Cisco, Dropbox, Evernote, Facebook, Google, Microsoft, Nest, Pinterest, Snapchat, Whatsapp, Yahoo (document contenant également une Amicus Curiae allant dans le sens opposé et supportée par des associations de policiers), sans oublier Intel la Computer & Communications Industry Association ou la BSA/Software Alliance. Ajoutons (et la liste est loin d’êre achevée), les associations de défense citoyennes Access Now, Wickr Foundation, l’ACLU et l’EFF.
Jamais, au cours des 30 dernières années, depuis le tout début du réseau Internet, jamais il ne s’est constitué une telle « union sacrée » luttant pour la défense d’une idée. Les motivations qui dictent l’attitude d’une EFF, ou d’une ACLU sont, de toute évidence, radicalement différentes de celles d’un Microsoft ou d’un Google, les uns militant dans le sens de la défense des usagers, les autres combattants pour la préservation de leur business model. La Cour de Californie est parvenue à faire ce que des années de cohabitation n’ont jamais pu réaliser : une internationale du monde numérique dans un pays libéral et viscéralement capitaliste.