Hackito Ergo Sum, festival des attaques mathématiques ? Après la démonstration doctorale de Graham Steel, celle de Renaud Lifchitz avait presque des airs de récréation. Intitulé « A common weakness in RSA signatures: extracting public keys from communications and embedded devices », il ne pouvait qu’intriguer l’assistance. Pourquoi s’évertuer à découvrir une clef publique, qui, par définition est publique ?
Publiques, mais pas toujours publiées, explique le chercheur d’Oppida. Particulièrement lorsque ces clefs sont utilisées dans des systèmes embarqués, des outils à large diffusion (marché grand public) pour lesquels il est pratiquement impossible de disposer de la moindre information technique poussée. Par ailleurs, bien de ces appareils ne sont pas prévus pour accepter des mises à niveau aussi importantes. En conséquence de quoi il peut arriver que des systèmes théoriquement fortement sécurisés deviennent totalement vulnérables, avec le temps et l’évolution des travaux de cryptanalyse.
Et c’est précisément en extrayant et en analysant la clef publique de ces systèmes embarqués que l’on peut se faire une idée assez précise de la solidité de l’ensemble de chiffrement. Même si, à un moment donné, un algorithme est considéré comme encore inviolé, l’on sait prévoir son espérance de survie. A l’heure actuelle, les experts ne donnent plus que 4 ans de sursis aux clefs de 1024 bits qui constituent le « gros » des standards de sécurité actuellement en service. Ce qui implique que, d’ici 4 ou 5 ans, il faudra envisager un renouvellement progressif du parc de tous les appareils utilisant de telles clefs.
Et de donner deux exemples précis : l’extraction de la clef publique à partir de deux emails signés par PGP et le reverse du système de contrôle d’accès d’immeubles probablement le plus répandu en France, les serrures VigiK.
VigiK est essentiellement une serrure commandée par une carte RFID à courte durée de répudiation (48 heures environ), laps de temps réduit pour limiter les risques d’intrusion en cas de perte ou de vol de la carte « passe partout ». Ses principaux utilisateurs sont les services postaux et les services d’urgence (pompiers, police, EDF/GDF), les seconds bénéficiant de droits d’accès plus larges que les premiers. Car un RFID VigiK peut être paramétré comme un service d’accès distant à un serveur : heures du jour, jours de la semaine, durée du bail, hiérarchie d’accès sont strictement paramétrables.
Le « jeton » détenu par le personnel des services en question n’est autre qu’une carte RFID Mifare, de la catégorie de celles qui sont réputées infalsifiables, mais dont on trouve sans trop de problèmes des équivalents pouvant être clonés sur quelques sites de vente en ligne réputés. En outre, ladite clef est partiellement codée avec une clef (vulnérable) de 48 bits. Ces vulnérabilités ne sont pas nouvelles et avaient notamment fait l’objet de communications de la part de l’équipe « Melanie Rieback et all » de l’Université libre d’Amsterdam ou du team David Naccache Jean-Sébastien Coron quelques temps auparavant. La présentation de Renaud Lifchitz donne d’ailleurs avec assez de précision à ce sujet (notamment le cassage de la clef 48 bits)
L’attaque contre le lecteur de badge, en revanche, est un peu plus complexe… mais pas impossible pour ce qui concerne l’extraction de la clef publique 1024 bits. Statistiquement, elle sera même quasiment certaine à moyenne échéance (entre 4 et 5 ans estiment les spécialistes de la cryptanalyse) et inévitable, le système VigiK étant « plafonné » par cette clef de 1024 bits. Tout prétendu audit tendant à prétendre le contraire ne serait qu’enfumage. Depuis l’aube du chiffrement sur Internet, la durée de vie des algorithmes de chiffrement prévue par les statisticiens de la sécurité s’est toujours vérifiée… parfois même les délais estimés se sont avérés bien trop optimistes en fonction de la découverte d’erreurs d’intégration volontaires ou non, ou d’associations de générateurs d’aléas moins aléatoires que prévus.
Comment pondérer le niveau de risque que révèlent les travaux de Renaud Lifchitz ? Tout dépend du contexte. Le raz-de-marée de cambriolage prévu en 2018 par certains de nos confrères mérite une citation avec palme au Grand Ordre du FUD, tout comme pourrait l’être toute affirmation contraire de la part des concepteurs dudit système. VigiK est un système destiné à faciliter l’accès de certains services d’Etat, et non de garantir de manière absolue la sécurité des foyers. Les adeptes du talonnage (tailgating) le savent bien, et les spécialistes de l’ingénierie sociale, plutôt que de plonger dans la manipulation de modulos et l’émulation de cartes Mifare, travailleront au corps soit la fleuriste de quartier, soit le vendeur de plats à emporter du coin de la rue… leurs carnets de livraison contiennent généralement l’intégralité des digicodes de leurs clients. En région parisienne, l’efficacité très relative de VigiK se mesure au poids de prospectus déposés chaque jour dans les boîtes à lettres par des entreprises de plomberie-serrurerie-charcuterie. Passons également sur les portes cochères dont le digicode/VigiK commande la gâche d’une porte également actionnée par une serrure « old school » qui ne résiste pas plus d’une minute à un rossignol.
Le risque est un peu plus prégnant pour ce qui concerne l’accès à quelques bâtiments d’Etat, bases militaires, services publics… c’est cette relative minorité d’établissements qui devra, tôt ou tard, envisager d’ajouter un second ou troisième facteur de sécurité périmétrique. L’axiome d’Edmond « bigezy » Rogers se vérifie une fois de plus, il est illusoire de vouloir renforcer une sécurité numérique au-delà de ce que peut offrir un périmètre de protection physique.