S’il est un mystère encore plus grand que celui de l’existence de la matière noire et de la Sainte Trinité réunies, c’est bien celui des motivations de la Commission générale de terminologie et de néologie, plus connue sous l’appellation « Commission de la langue Française ». A période régulière, ladite commission est prise de frénésie et accouche d’un néologisme d’une perfection renversante, qui émeut son lecteur au point qu’il se demande souvent par quel miracle la vie, l’univers et le reste ont pu exister auparavant. Son dernier exploit (l’on parle de celui de la Commission) concerne le mot « Big Data », qui faudrait désormais traduire par « mégadonnées » (J.O. du 22 août 2014) (n.f.pl.). Définition: Données structurées ou non dont le très grand volume requiert des outils d’analyse adaptés. Note: On trouve aussi l’expression «données massives»nous apprend le Journal Officiel au fil de la note référencée CTNX1419323X.
Du coup, c’est l’intégralité des œuvres d’Huxley qu’il va falloir corriger, en y insérant le nom de MégaFrère. Car dans Big Data, l’on trouve le radical « Big », comme dans Big Brother. Emasculer le terme de son signifiant ôte à Big Data tout aspect dramatique, tentaculaire, ubiquitaire qui en faisait son charme indéfinissable. Big n’est pas méga (et encore moins Tera ou Exa), n’importe quel sémiologue Googlelien ou des rivages de l’Amazon le jurera. A moins que ladite commission n’ait écouté avec complaisance les avis des grands manipulateurs de données massives et n’ait souhaité éliminer toute trace anxiogène du terme. C’est très à la mode, cette tendance à la novlangue, qui transmute une caméra de flicage en équipement de « vidéoprotection » et une « bourde du service informatique ayant entraîné un plantage magistral » en un « hiatus de gouvernance ».
Il faut dire que la Commission n’en est pas à son coup d’essai. Sa page Ouèbe de présentation est émaillée de quelques palmes peu académiques qui, chacune, marquent une victoire contre les barbarismes numériques.
L’on remarque ainsi la mise en exergue de « mécénat » et « parrainage » censés traduire au mieux le mot « sponsoring ».Le sponsoring est un contrat commercial, le mécénat est un acte désintéressé… mais ce genre de détail sémantique est de peu d’importance aux yeux des commissaires. Ce qui compte, c’est que ça sonne Français. Et ce n’est certainement pas le cas du mot « commanditaire », trop Français, trop ancien, et qui compte plus que trois lettres qui forment le mot…
Victoire de la commission, encore, mais à la Pyrrhus, avec cédérom, traduction de l’anglicisme CD-Rom paraît-il. Il est vrai qu’en langage parlé, la différence saute aux oneilles. Mentionnons au passage que cette même commission bannissait de notre vocabulaire il y a quelques années les termes RAM et ROM pour y substituer les sigles MEV et MEM. Pour Mémoire électrique Vive et Mémoire électrique Morte. La vie d’une mémoire ainsi francisée soulève la douloureuse question de la donnée ontologique, de la survivance de l’âme des bits après le trépas (car peut-il exister une mémoire morte qui ne soit d’abord née et n’ait jamais vécue ?) le tout soulevant le formidable problème de l’éventuelle immortalité des données en cas de copie d’ycelles. La commission Hadopi, aussi indispensable, salvatrice et nécessaire que la Commission de la Langue Française, travaille avec ardeur sur ce point théologique. D’ailleurs, une sous-commission planche également sur la publication d’un article correctif au journal officiel qui confirmera la traduction de CD-Rom par cédémème et celle de DVD-R par dévédémève. Quelques esprits subversifs ont même suggéré que le mot cédérom n’était pas politiquement correct et qu’il serait préférable de dire cédégensduvoyage. Mais ce ne sont là que lazzis infondés.
Ne figure toutefois pas au panthéon Ouebesque de la Commission le mot Ordinateur, tout empreint d’une solennelle déité, et que deux sous de réflexion auraient pu lui faire préférer « Computeur », du latin Comput, et qui fit le quotidien des spécialistes du Canon chargés de calculer les fêtes mobiles et néanmoins religieuses. On s’étonne également de l’absence du très familier « Bug » qu’il faudrait, parole de Commissaire, appeler bogue, probablement en raison du caractère très épineux de ce qu’il désigne. Logique imparable si l’on considère qu’une bogue électronique peut occasionner une châtaigne et une bogue informatique faire marron son auteur.
En revanche, « Puce » est un titre de victoire affirmé. C’est la traduction du mot « Chip », cette rognure de silicium qui se cache généralement sous l’épaisse protection de résine époxyde de nos circuits intégrés. « Court et imagé, puce n’a pas eu de peine à s’implanter dans le grand public » affirme l’auteur de la page de présentation de ladite commission. Il faut admettre que le grand public a probablement quelques difficultés à utiliser une « puce » compte tenu de la rare disponibilité des machines de bonding (de couture électronique) dans les merceries-épiceries les mieux achalandées. Du coup, forcément, l’usage rarissime du terme peut probablement passer pour une victoire. A moins que ladite commission ne s’enorgueillisse de l’involontaire synecdoque qui consiste à désigner la partie pour le tout, et appeler « puce » un circuit intégré. Mais ce ne serait là que pure médisance.
c ‘est George Orwell qui a écrit 1984 où apparaît Big Brother. Un bon livre, ma foi. Huxley, lui, c’est le meilleur de mondes, pas mal du tout non plus. Cordialement . D