La série d’attentats du 13 novembre continue de provoquer des glissements sémantiques dans la presse technique d’Outre Atlantique. Le New York Times publie un très long article, aussi documenté que précis, sur l’enchaînement des actes terroristes et glisse, au détour d’un chapitre, un très prudent « European officials said they believed the Paris attackers had used some kind of encrypted communication, but offered no evidence » (quelques personnalités Européennes déclarent qu’elles pensent plausible l’usage par les attaquants de certains moyens de communication chiffrés ».
Ars Technica, se basant sur l’article du NYT, titre alors « ISIS encrypted communications with Paris attackers, French officials say » (Daech chiffrait ses communications avec les attaquants, déclarent les représentants du gouvernement Français). De l’hypothèse (probable), on passe à l’affirmation péremptoire. Cela rappelle les suspicions d’usage de la stéganographie par Al Quaida lors de la préparation de l’attentat du 11 septembre 2001. Usage qui n’a jamais été prouvé dans le cadre de cet évènement précis, contrairement à la technique des « boîtes mortes » sur Internet qui a effectivement beaucoup servi. Ce qui n’a pas pour autant rendu hors la loi le business des messageries Cloud. La sécurité d’Etat pourrait s’arrêter là où le business est fructueux ?
Le NYT encore, témoigne de la pugnacité de Tom Brennan, Directeur de la CIA qui, depuis des années, régulièrement, agite le chiffrement des échanges sur Internet comme un épouvantail, et explique que c’est là un moyen largement utilisé par les terroristes. Le fond de commerce de Brennan (la peur, l’incertitude, le doute, la stigmatisation et surtout l’inlassable répétition) commence à faire écho auprès de plus en plus de Sénateurs US, sans toujours la moindre preuve venant confirmer cette possibilité. Que la Maison Blanche valide ces théories, et l’Europe pourrait bien, par mimétisme, profiter de cette attitude pour justifier la résurrection de vieilles idées sécuritaires telles que les tiers de confiance et les clefs de séquestre.
Et ce, malgré un troisième article du NYT qui martèle à nouveau « les personnes autorisées tant Américaines que Françaises déclarent qu’il n’existe encore aucune preuve venant étayer la thèse que les terroristes du vendredi 13 novembre ont utilisé des technologies de chiffrement nouvelles et difficiles à casser ». Ce qui n’empêche pas Brennan et autres politiques d’expliquer, chiffres à l’appui, que depuis les révélations Snowden et la psychose des écoutes NSA, le nombre de personnes utilisant des outils de chiffrement, des réseaux chiffrés (Tor étant le premier visé) ou des systèmes sécurisés tels que Tails (https://tails.boum.org/) a plus que doublé, voir triplé en l’espace de deux ans. Mais, aurait ajouté Pierre Dac, il s’agit d’une frange d’utilisateurs « partis de rien pour arriver à pas grand-chose ». Les afficionados de Tails se comptent en dizaines de milliers, pas en milliards d’internautes. Idem pour les adorateurs du culte de Tor l’Oignon Sacré. Et l’installation de GPG relève, proportionnellement au nombre réel d’abonnés au Net, de l’usage anecdotique. D’ailleurs, l’emploi que Daech fait de ces techniques est lui-même assez limité, puisqu’un premier site d’information djihadiste vient à peine d’apparaître sur le Darknet, faisant la promotion au passage d’un outil d’échange chiffré assez simplifié. Cette naissance a été signalée sur Krypt3ia et CSO Online.
Quelques journalistes parviennent pourtant, dans ce climat anxiogène, à résister. Glenn Greenwald, de The Intercept, titre« Exploiter les émotions soulevées après les attentats de Paris pour condamner Snowden détourne l’attention qui devrait se focaliser sur les coupables effectifs, à savoir le bras armé de Daech ». Greenwald laisse clairement entendre que les attentats sont considérés par les faucons Républicains non pas comme un évènement grave dont il faut rapidement tenter de combattre les causes, mais comme un prétexte arrivant à point nommé pour justifier des visées politiques. Et Greenwald de s’indigner de l’attitude de ces « journalists [that] mindlessly and uncritically repeat whatever U.S. officials whisper in their ear about what happened ». Car les récents attentats sont aussi l’occasion de faire jouer les techniques d’influence et d’orientation de certains médias, notamment ceux en quête de sensationnel.
Instrumentalisation encore, mais du côté de la Grande Bretagne cette fois, puisque le Premier Ministre David Cameron fait son possible pour accélérer la procédure d’adoption d’une proposition de loi baptisée « Investigatory Powers Bill » rapporte The Stack. Au fil de ce texte, l’obligation de rétention des données par les FAI sur une durée d’un an, et la mise hors la loi de tout système de chiffrement « zero knowledge ».
L’usage du Chiffre est-il la conséquence des alertes lancées par Edward Snowden ? Si la réponse est « oui », il faut également mettre au ban de la société tous les personnages qui ont eu recours à ce genre de technique dans le cadre de correspondances clandestines. Ce qui risque de compromettre la réputation de Jules César, Marie Stuart ou Edgar Poe.