La vision que les quotidiens US (y compris ceux que l’on pourrait soupçonner d’opinion conservatrice) est assez critique lorsqu’elle traite des récents évènements ayant secoué les TIC ces dernières semaines. Pris au hasard, ou presque, trois articles du PilotOnLine (Norfolk). A commencer par l’annonce de la sentence à 35 ans de privation de liberté pour Bradley Manning. Traître à la patrie ou défenseur de l’honneur militaire ? Le tribunal s’est montré « moyennement clément » pour l’homme qui a révélé les bavures de l’armée US sur les terrains d’opération (notamment l’assassinat de journalistes) et diffusé plus de 700 000 documents confidentiels traitant des guerres d’Iraq et d’Afghanistan. Mais les charges d’entente avec l’ennemi et d’espionnage n’ont pas été retenues contre lui, ce qui fait dire à certains (les porte-parole de Wikileaks …) que grâce aux mécanismes de liberté conditionnelle, Manning pourrait voir le ciel dans 8 ou 10 ans.
On ne peut s’empêcher de se demander dans quelle mesure le procès de Manning n’était pas aussi une sorte de procès Snowden par contumace. Il est difficile, voire impossible pour un jury ou un juge, de ne pas être influencé par l’actualité et par les propos extrêmes proférés par nombre de sénateurs. Et le quotidien de Norfolk n’est pas le dernier à faire le parallèle.
Encore une tranche de PilotOnLine, du lendemain cette fois, avec les « révélations » sur les dérapages de la NSA considérés comme contraire à la Constitution des Etats-Unis. Une information rendue publique grâce à l’EFF suite à un procès contre le gouvernement. L’EFF réclamait l’application de la loi sur la transparence de l’information (FOIA) à propos des avis émis par la Foreign Intelligence Surveillance Court. Laquelle condamnait les agissements de la NSA, condamnation émise en 2011 mais demeurée secrète jusqu’à présent.
Si l’on tourne une fois de plus une page du PilotOnLine, on tombe sur une… affaire d’espionnage. Cette fois, il s’agit d’un ancien militaire chiffreur de la Navy qui vendait des informations secrètes à des espions Russes… lesquels espions n’étaient autres que des agents sous couverture du FBI. Lorsque les barbouzes se font rares, il suffit d’en inventer, et de tenter le premier lampiste venu dans le cadre d’une opération de provocation. Entretien du climat psychotique général ou cours normal de l’espionite aiguë qui frappe les Etats-Unis ? Par moment, on se croirait revenu aux grandes heures du Maccarthysme. Mais contrairement aux années 50, l’ennemi n’est plus réellement le « rouge ». Il est diffus, il prend tantôt le nom de terroriste, tantôt d’ennemi intérieur, tantôt de djihadiste, ou encore d’adversaire économique.
De tous temps, les USA ont eu besoin d’un pendant militaro-politique pour canaliser leur énergie. L’unité nationale contre l’Angleterre coloniale, puis contre l’Espagne, plus tard l’Allemagne, puis contre l’URSS. Lorsque s’est effondré l’adversaire historique, le Grand Large s’est senti totalement déstabilisé, période marquée par le début des opérations militaires extérieures anti-terroristes et la quête d’un sparring-partner à sa mesure. Cet ennemi existe-t-il ailleurs que dans la vision que l’Amérique porte sur le reste du monde ? Pour l’instant, le Nouveau Monde boxe dans le vide, incapable de frapper un insaisissable et invisible adversaire
Si l’on se rapporte aux documents déclassifiés, on se rend compte que les démons seront difficiles à combattre. L’espionnite a métastasé tout le tissu administratif US. En 2011, le juge James D. Bates révélait que, trois ans durant, la NSA a fouillé dans les emails et archives téléphoniques de plus de 56 000 citoyens Etats-Uniens qui n’avaient strictement aucun lien avec la plus petite enquête anti-terroriste. Pis encore, ce même juge s’étonne que les membres du gouvernement se soient rendus coupables de « présenter sous un jour inapproprié » (l’expression exacte est « fausse déclaration », misrepresentation) l’étendue du programme de surveillance électronique de la NSA (This court is troubled that the government’s revelations regarding NSA’s acquisition of Internet transactions mark the third instance in less than three years in which the government has disclosed a substantial misrepresentation regarding the scope of a major collection program) Trois mensonges en trois ans, on peut se demander si cette attitude n’a pas perduré après 2011.
Mais ce qui ressort le plus souvent en parcourant la presse d’Outre Atlantique, c’est l’étonnement face au fait que la Raison d’Etat et le caractère « top secret » de ces informations aient pu aussi facilement servir à camoufler des agissements qui ne relevaient absolument pas du secret d’Etat. Le « confidentiel défense » au secours des bavures de basse police en quelques sortes. Ce qui jette un discrédit général (bien que non ouvertement exprimé) de la presse sur le coupable aveuglement tant des Députés que des Sénateurs, dont le rôle est précisément de veiller au respect de l’esprit des lois et de la Constitution du pays.
Plus qu’une vague affaire d’espionnage, l’Amérique pourrait bien souffrir d’une crise de confiance politique. Tout ça à cause d’un abus de nouvelles technologies, d’emails, de flux VoIP et autres Internetteries, si faciles et si tentantes à surveiller.