Confusion, incertitudes, doutes … le tandem Wikileaks-Anonymous, qui semblait tellement symbiotique il n’y a pas deux mois, paraît se déliter et dériver au rythme des nombreuses contradictions qui animent ces mouvements.
Côté Wikileaks, passé les premiers effets de surprise, les médias en reviennent à des attitudes plus raisonnables. L’orientation probable des sources, la possible « intoxication par omission », l’absence réelle de « révélations » fondamentales (si ce n’est la mise au grand jour du cynisme de la realpolitik et le langage « off » de la diplomatie) font retomber les annonces. Certains journalistes ont l’impression de s’être fait flouer, d’avoir subi une pression leur ayant empêché de prendre le recul nécessaire, mais tous ont reçu une leçon magistrale sur la sensibilité du lectorat, prompt à abandonner les médias traditionnels au profit de ceux de la Grande Toile. Il souffle, sur la presse économico-politique, le même vent qui a pratiquement réduit au silence la presse spécialisée informatique et l’a en grande partie transformé en relais passif au service de l’industrie. Jusqu’à présent, l’heure est plutôt à l’approbation générale : Wikileaks n’est peut-être pas un médium idéal, mais c’est un sang neuf dans le landerneau de l’information. Une vision optimiste qui évite de s’interroger sur l’avenir, notamment sur l’affaiblissement d’une presse institutionnelle qui a mis si longtemps à se construire. Et sur des « Leaks » qui ont mis si peu de temps à naître mais qui pourraient bien soit se faire phagocyter par des lobby plus puissants qu’eux, soit disparaître corps et âme. Dans les deux cas, la chose aboutirait à un désert médiatique. Internet est un monde de bulles, de modes et de technologies séculaires qui ne durent que le temps d’une introduction en bourse.
Jusqu’à présent, quelques rares éditorialistes ont pris des positions très critiques, tel Alain-Gérard Slama sur France Culture, pour qui le rapport d’un « fait brut » n’est pas du journalisme ni même de l’information, et qui condamne les moyens douteux (les « vols d’information ») à l’origine de ces révélations. Querelle de méthode et de « cuisine de métier » qui ne pose pas la question fondamentale de l’avenir à long terme de la presse ou de ce qui la remplacera. D’ailleurs, qu’est-ce que le journalisme au XXIème siècle, son rôle dans la démocratie, et quel est le niveau d’influence (de compromission disent certains) de la source sur celui chargé de rapporter ? Un journaliste a-t-il sa place en tant que participant à un « dîner du siècle » ou à une causerie dans les salons de Davos ? Wikileaks doit aussi son succès à une lente dérive oligarchique de la société occidentale moderne, dérive qui associe de plus en plus médias, intérêts industriels, politiques et membres de l’appareil d’Etat pourtant obligés à un devoir d’indépendance lié à leur charge régalienne. Les « fuites » d’Assange pourraient être une conséquence directe de la perte de confiance du public en ses institutions et en ses contre-pouvoirs, dans l’espoir de voir naître un véritable « quatrième pouvoir 2.0 » adapté à notre époque.
Pourtant tout n’est pas si transparent et intègre dans le royaume Assange. Les révélations de Wikileaks sont mises en doute, notamment par une entreprise spécialisée dans la sécurité des contenus, Tiversa, qui affirme qu’une partie des scoop Wikipediesques était disponible sur les réseaux P2P depuis belle lurette. Une affirmation que dément l’équipe d’Assange, rapportent nos confrères d’IDG US. Par ailleurs, l’autocratisme d’Assange et la sécession de son équipe qui a donné naissance au concurrent OpenLeaks (http://openleaks.org/) (site officiellement ouvert le 27 janvier) laisserait à penser qu’il se développe une sorte de Web 3.0. Si le Web 2.0 c’est l’exploitation commerciale par une minorité des contenus fournis gratuitement par une majorité, ce Web 3.0 serait la diffusion non commerciale par une minorité étendue de contenus fournis (gratuitement ou non) par une autre minorité « bien placée » et à destination de la majorité. C’est le règne de ce que les américains désignent sous le terme générique de « disgruntled employee leaks », les cadres aigris par les promesses non tenues d’un siège confortable à la table des seigneurs. Les désabusés du système libéral, engendrés par le système libéral. Les « leaks » reposent sur un désir de vengeance, tout comme l’ont été certains grands « scoops » de la presse traditionnelle, à commencer par l’affaire du Watergate ou certaines révélations de nos confrères du Canard.
Et les truands, dans tout çà ? Ils prennent le train en marche. Car si un « leaks » quelconque bénéficie d’un capital-confiance anormalement élevé, il faut s’attendre à ce que ce capital soit immédiatement exploité par des professionnels de la carambouille. Le nom d’Assange commence à voir le jour dans certains malwares, découvre F-Secure, et John Leyden d’El Reg nous décrit par le menu comment des escrocs utilisent les leviers de l’intimidation pour extorquer quelqu’argent à des victimes faisant l’objet de prétendues « révélations détenues par Wikileaks ». Le montage est d’autant plus plausible que les menaces d’Assange visent désormais le secteur privé, tel que Bank of America.
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